Entretien avec le Dr Mostafa Brahimi, Député à la Chambre des Représentants au sujet de l'augmentation de la taxe sur les boissons sucrées

    • La Commission des finances et du développement économique à la Chambre des Représentants a voté à l’unanimité deux amendements visant la hausse de la taxe sur les boissons sucrées. Pourriez-vous nous rappeler le contexte derrière la proposition de cet amendement ?
  • Le rapport du Haut-Commissariat au Plan sur l'obésité réalisé en 2011 estime à 10,3 millions le nombre de Marocains adultes en situation d’obésité ou de pré-obésité (dont 63,1 % de femmes), et à 14 % le nombre d’enfants obèses. Selon les chiffres de l’OMS pour 2016, 14 % des enfants marocains sont obèses.Au niveau mondial, l’effectif d’adultes en situation de pré-obésité est passé en 10 ans de 4,5 millions à 6,7 millions. 
  • L'étude publiée par le cabinet McKinsey en 2014 affirmant que l’obésité coûte 24 milliards de dirhams par an aux finances publiques marocaines, soit environ 3 % du PIB du Royaume.
  • Le Rapport de l’OMS, Fiscal policies for Diet and Prevention of Noncommunicable Diseases, d’après lequel la taxation des boissons sucrées permettrait de faire baisser la consommation de ces produits et de faire reculer le nombre de cas d’obésité, de diabète et d’autres maladies chroniques et coûteuses.Les expériences de pays tels que le Mexique, la France et la Grande Bretagne, qui ont pu, grâce à ce système de taxation, obtenir une diminution de la consommation des boissons sucrées.

Face à cette situation alarmante et évolutive, un groupe de médecins cliniciens, d’épidémiologistes, de scientifiques et de responsables des maladies non transmissibles au ministère de la Santé ont mené, dans le cadre des discussions des deux projets de lois 2018 puis 2019, une campagne de sensibilisation auprès des groupes des deux chambres parlementaires en vue de faire augmenter les taxes sur les boissons sucrées. Devant la force de l'argumentaire des parlementaires qui ont défendu cette cause, le gouvernement s'est engagé à mener, au cours de l’année 2017, une étude visant à estimer l'impact de cette taxation.

  • Pensez-vous que cette mesure va être approuvée par le gouvernement ?

Tout d’abord, cet amendement qui vise un changement des comportements a porté sur  :

  • L’augmentation de 50 % de la TIC (taxe intérieure sur la consommation) qui va être supportée par les producteurs afin qu’ils diminuent la concentration de sucre dans les boissons contenant des sucres ajoutés et dans les boissons énergisantes. Nous avons déjà pris contact avec des industriels qui ont déclaré (suite à cet amendement du PLF 2019) être favorables à la diminution de la teneur en sucre des boissons produites.
    • La création d'une TVA de 70 MAD/hectolitre qui va être payée par le consommateur pour qu'il diminue sa consommationn.

En effet cette année, le gouvernement marocain a honoré ses engagements en acceptant l'amendement du projet de la loi de finance 2019, voté à l'unanimité non seulement à la Commission des finances le 11 novembre 2018, mais aussi et surtout lors de la plénière de la première chambre le 15 novembre 2018. En outre, le gouvernement s'est même engagé sur la taxation des produits laitiers qui contiennent du sucre pour l'année prochaine.

  • Selon vous, quel serait l’impact de cette mesure en termes de santé publique ?

Cette taxe est un pas très important dans la lutte contre l'obésité et celle en faveur de la diminution de l'incidence du diabète. C’est donc une mesure nécessaire, mais encore insuffisante. En effet, pour avoir un impact sur la santé publique, cette mesure doit être renforcée et élargie à d'autres actions menées contre le sucre contenu dans d’autres aliments tels que les bonbons, les biscuits, les chocolats, ainsi que sur deux autres produits toxiques que sont le sel et les graisses. Afin d'obtenir les résultats escomptés, cette taxation doit s'intégrer à une stratégie multidisciplinaire visant à faire diminuer les apports caloriques et à encourager l'activité physique.

Pour cela, nous comptons sur :

  • Une attitude civile de la part de l’industrie agro-alimentaire, pour qu’elle  prenne en considération la santé de la population dans la composition de ses produits, en diminuant la concentration de sucres.
  • La communauté médicale et la société civile, pour une implication et une participation plus active dans la diffusion d’informations sur l’obésité et la sensibilisation contre ce fléau.
  • Le gouvernement, pour qu’il se montre inflexible face aux abus ayant des conséquences négatives en matière de santé publique.