Les accidents de travail lombaires dans le secteur privé : prévalence et facteurs associés à leur gravité et à leurs séquelles dans la région du centre tunisien

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Aïcha Brahem 1, Mohamed Bouhlel 1, Imène Kacem 1, Maher Maoua 1, Wided Boughattas 1, Dorra Khalfaoui 1, Kamel Rejeb 2, Souhaiel Chatti 1, Olfa El Maalel 1 et Nejib Mrizak 1

1Service de Médecine du Travail et de Pathologie professionnelle, Centre hospitalier universitaire (CHU) Farhat Hached, Sousse (Tunisie) (Correspondance à  adresser à I. Kacem : This email address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it.). 2Caisse nationale d’assurance maladie, Sousse (Tunisie).

Résumé

En Tunisie, peu d'études ont été menées sur les accidents de travail lombaires (ATL). Nous avons réalisé une enquête rétrospective descriptive portant sur tous les ATL dans le secteur privé de la région du centre tunisien déclarés sur une période de cinq ans pour déterminer leur prévalence et les facteurs associés à leur gravité et à leurs séquelles. Les données ont été recueillies auprès du centre régional de la Caisse nationale d'assurance maladie de Sousse. Nous avons recensé 293 cas, soit une prévalence de 14,2 % par rapport à l'ensemble des accidents de travail déclarés durant cette période. Plus des deux tiers des accidentés (69,2 %) étaient victimes d'un ATL grave et 33,8 % des victimes gardaient des séquelles lourdes. Après ajustement par régression logistique binaire, la catégorie professionnelle persistait comme facteur associé à la gravité des ATL (p = 0,001 ; OR = 2,86 [1,50-5,47]). Le traitement chirurgical persistait en tant que facteur associé à la gravité (p < 0,001 ; OR = 9,06 [3,09-26,56]) et à la lourdeur des séquelles de ces accidents (p < 0,001 ; OR = 54,72 [18,84-158,93]). Les ATL constituent un véritable problème de santé au travail. Une stratégie de prévention est nécessaire pour réduire leurs conséquences socio-économiques.

Citation : Brahem A; Bouhlel M; Kacem I; Maoua M; Boughattas W; Khalfaoui D; et al. Les accidents de travail lombaires dans le secteur privé : prévalence et facteurs associés à leur gravité et à leurs séquelles dans la région du centre tunisien. East Mediterr Health J. 2018;24(4):385–392. https://doi.org/10.26719/2018.24.4.385

Reçu : 07/09/16 ; accepté : 09/05/17

© Organisation mondiale de la Santé 2018. Certains droits réservés. La présente publication est disponible sous la licence Creative Commons Attribution – Pas d’utilisation commerciale – Partage dans les mêmes conditions 3.0 IGO (CC BY‑NC-SA 3.0 IGO ; (https://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/3.0/igo).


Introduction 

De par leur fréquence, leur gravité et leur coût, les accidents de travail (AT) représentent un lourd fardeau social. Ils seraient responsables de plus de 180 000 décès et de 110 millions de blessés par an de par le monde (1).

En Tunisie, et depuis 2008, la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAM) recense plus de 40 000 AT chaque année, dont la majorité serait traumatique (2). Les lombalgies et les sciatalgies survenant suite à un AT constituent un véritable problème de santé qui est reconnu par la plupart de la main-d'œuvre mondiale. En effet, la région lombo-sacrée constitue le site anatomique le plus touché par ces blessures (3). Aux États-Unis, dès les années quatre-vingt-dix, les accidents de travail lombaires (ATL) étaient considérés comme la première préoccupation en matière de sécurité au travail. Selon le  Bureau of Labor Statistics,  les ATL avaient représenté, en 2013, 24 % de l’ensemble des maladies et AT non mortels imposant un arrêt de travail (4). En Europe, ces derniers avaient constitué 10,9 % des accidents non fatals recensés en 2005 (5).

Les ATL constituent un fléau socio-économique très important, d’une part, à cause de la réduction de l’activité, de la perte de productivité et de l’absentéisme qu’ils peuvent engendrer, et d’autre part, du fait de leur coût direct et indirect sur l’individu, l’entreprise et la société (6).

Plusieurs études se sont intéressées à ces lombalgies post-traumatiques en milieu professionnel, attestant de l’ampleur de cette problématique. Cependant, et malgré la fréquence de cette pathologie qui ne cesse de croître et ses lourdes conséquences, les données relatives aux ATL en Tunisie restent parcellaires et limitées à quelques secteurs d’activité, ce qui a suscité notre intérêt à mener ce travail ayant comme objectifs de déterminer la prévalence des ATL dans la région du centre tunisien et d’identifier les facteurs associés à leur gravité et à la lourdeur de leurs séquelles.

Méthodes 

Il s’agit d’une étude rétrospective descriptive menée sur une période de cinq ans, allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2014. La population d’étude comportait l’ensemble des victimes d’ATL déclarés dans le secteur privé de la région du centre tunisien.

Dans le secteur privé, la reconnaissance des maladies professionnelles est faite par les commissions médicales qui se réunissent aux différents sièges de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) à Tunis, Sousse et Sfax. La commission médicale de Sousse couvre les gouvernorats de Sousse, Kairouan, Kasserine, Mahdia et Monastir.

Nous avons inclus tous les cas d’ATL isolés, consolidés et examinés par la commission médicale des AT de la région du centre tunisien. Ont été exclus les cas d’AT portant sur le rachis cervical et/ou dorsal ainsi que les traumatismes rachidiens étagés. De même, les dossiers des malades dont les données n’étaient pas complètes ont été exclus de l’étude.

Le recueil des données a été basé sur une fiche synoptique préalablement établie et remplie à partir des données provenant des dossiers numérisés des salariés victimes d’AT auprès de la CNAM de Sousse. Ces données ont concerné les caractéristiques socioprofessionnelles (âge, sexe, secteur d’activité, poste de travail, ancienneté professionnelle), l’information relative à l’accident actuel (mécanisme lésionnel), les informations médicales (antécédents rachidiens, indice de masse corporelle [IMC], bilan lésionnel initial, type de traitement) et les répercussions médico-légales (taux d’incapacité temporaire totale et taux d’incapacité permanente partielle). L’obésité a été définie par un IMC supérieur ou égal à 30 kg/m2 (7).

Pour la classification des salariés selon le secteur d’activité professionnelle, nous avons adopté la Classification internationale type, par industrie, de toutes les branches d’activité économique (CITI) réalisée par le Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies (8). Concernant le poste de travail, nous nous sommes basés sur la Classification internationale type des professions (CITP-88) de l’Organisation internationale du Travail (9).

On a procédé par la suite à une répartition de notre population d’étude en deux groupes selon le poste de travail afin de séparer les travaux manuels des autres. Ainsi, le premier groupe (G1) était composé d’ouvriers non qualifiés, des artisans et des conducteurs de machines. Le deuxième groupe (G2) comprenait des cadres, des personnels de service et des professions intermédiaires.

L’AT était défini, conformément à l’article 3 de la loi n° 94-28 du 21 février 1994 relatif au secteur privé (10), comme suit :

« Est considéré comme accident de travail, quelle qu’en soit la cause ou le lieu de survenance, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail, à tout travailleur quand il est au service d’un ou de plusieurs employeurs. » (l’accident de travail proprement dit).

« Est également considéré comme accident de travail, l’accident survenu au travailleur alors qu’il se déplaçait entre le lieu de son travail et le lieu de sa résidence, pourvu que le parcours n’ait pas été interrompu ou détourné pour un motif dicté par son intérêt personnel ou sans rapport avec son activité professionnelle. » (l’accident de trajet).

Un accident était qualifié de grave s’il avait entraîné une incapacité temporaire totale (ITT) supérieure à 90  jours. Les séquelles étaient définies comme étant lourdes si le taux d’incapacité permanente partielle (IPP) était supérieur ou égal à 15 %.

La saisie et l’analyse des données ont été réalisées par le logiciel SPSS dans sa version 21.0. Nous avons calculé les fréquences et les pourcentages pour les variables qualitatives, ainsi que les moyennes et les écarts types (standard deviation) pour les variables quantitatives. Pour la comparaison des moyennes, on a utilisé, le test « t » de Student pour la comparaison de deux moyennes de séries indépendantes et le test F (de Fisher-Snedecor) d’analyse de la variance paramétrique (ANOVA – Analysis Of Variance – à un facteur) pour la comparaison de plusieurs moyennes. La comparaison des fréquences a été réalisée avec le test χ2 de Pearson. Pour l’étude multivariée, nous avons utilisé une régression logistique binaire multiple. L’inclusion des variables indépendantes dans les modèles de régression était faite lorsque leur degré de signification était inférieur à 0,2. Pour tous les tests statistiques, le seuil de signification p a été fixé à 0,05.

Résultats 

Au total, 293 cas d’ATL survenus dans le secteur privé, dans la région du centre tunisien, ont été inclus dans notre travail, ce qui correspond à une prévalence de 14,2 % par rapport à l’ensemble des AT déclarés durant cette période d’étude dans le centre tunisien.

La répartition des ATL en fonction des années a objectivé une augmentation progressive du nombre des cas d’ATL, avec un pic au cours de l’année 2014 (49 cas soit 16,6 %) (Figure 1).

Les caractéristiques socioprofessionnelles sont résumées dans le tableau 1. L’âge moyen de notre population était de 42 (écart type [ET] 8,6) ans avec des extrêmes compris entre 19 et 60 ans. Une prédominance masculine a été notée (89,8 %) avec un sex ratio de 8,7. La majorité des cas (65,9 %) exerçaient dans le secteur des activités industrielles. Les postes de travail occupés par nos malades étaient ceux d’ouvriers dans 37,2 % des cas, d’artisans dans 29,0 % des cas et de conducteurs dans 14,3 % des cas. L’ancienneté professionnelle moyenne et médiane des travailleurs au poste de travail était, respectivement, de 16,4 (ET 7,9) ans et de 15 ans, avec des extrêmes de 1 et 37 ans.

Le mécanisme lésionnel prédominant était la manutention lourde rapportée dans 45,4 % des cas. La glissade ou la chute, notée chez 37,9 % des victimes, occupait la deuxième place (Tableau 2).

Dans notre étude, nous avons relevé que la majorité des accidents, soit 97,6 % des cas, étaient survenus sur le lieu du travail alors que dans 2,4 % des cas il s’agissait d’accidents de trajet.

Concernant les données médicales, une pathologie vertébrale préexistante était rapportée par 80 cas  (27,3 %) et était représentée essentiellement par le rachis dégénératif (57,0 %). Des épisodes de lombalgies ou de lombo-sciatalgies antérieures étaient notés chez 42,7 % de nos malades. Des antécédents d’un AT à localisation rachidienne étaient constatés chez 25,6 % des cas. Par ailleurs, l’obésité a été rapportée chez 7,5 % des accidentés. Le bilan lésionnel initial était sans anomalies dans 16,4 % des cas. Un traitement médical était indiqué pour 54,3 % des accidentés. Le tableau 3 résume l’ensemble des données médicales.

La durée moyenne d’ITT était de 190,7 jours, avec des extrêmes de 0 et 1279 jours. L’ATL était qualifié de grave nécessitant un arrêt de travail supérieur à 90 jours chez 69,2 % des accidentés. La gravité de l’ATL était significativement associée au poste de travail du groupe 1 incluant les ouvriers non qualifiés, les artisans et les conducteurs de machines (p = 0,007), et au traitement chirurgical (p < 0,001).Toutefois, aucune association avec des antécédents de rachis dégénératif, de lombo-sciatalgie, de spondylolisthésis, de fracture tassement, de canal vertébral étroit et d’hernie discale n’a été retrouvée.

Après consolidation, l’indemnisation avait porté sur les lombalgies ou les lombo-sciatalgies seules chez 85 % des victimes et sur l’association à d’autres lésions indemnisables dans 8,2 % des cas. Par ailleurs, 6,8 % des cas n’avaient bénéficié d’aucune indemnité.

Le taux d’IPP attribué aux victimes par la commission médicale des AT auprès de la CNAM de la région du centre tunisien variait de 0 à 50 %, avec une moyenne de 12,3 % (ET 7,4) et une médiane de 10 % (ET 7,4). Les séquelles ont été jugées lourdes (IPP ≥ 15 %) dans 33,8 % des cas.

L’importance des séquelles était significativement associée à la manutention lourde (p = 0,04), l’absence de  reprise du travail (p = 0,03) et au traitement chirurgical  (p < 0,001) (Tableau 4). Une association statistiquement significative entre la gravité de l’accident et l’importance des séquelles a été notée (p < 0,001).

Après ajustement par régression logistique binaire, le poste de travail (G1) et le traitement chirurgical persistaient comme facteurs indépendants associés à la gravité de l'ATL (p = 0,001 ; OR = 2,86 [1,50-5,47] et p < 0,001 ; OR = 9,06 [3,09-26,56] respectivement). D’autre part, seul le traitement chirurgical persistait comme facteur indépendant associé à la lourdeur des séquelles (p < 0,001 ; OR = 54,72 [18,84-158,93]) (Tableau 5).

Discussion 

Au terme de cette enquête, la prévalence des ATL dans le secteur privé, dans la région du centre tunisien, était de 14,2 %. La catégorie professionnelle des ouvriers, des artisans et des conducteurs de machines paraît comme un facteur associé à la gravité des ATL. Le traitement chirurgical constitue un facteur prédictif aussi bien de la gravité que de la lourdeur des séquelles de ces accidents.

Notre étude présente certaines limites qui doivent être mentionnées. Il s’agit du biais de sélection puisque seuls les ATL dans le secteur privé ont été inclus dans l’étude. La deuxième limite est la nature rétrospective de l’étude. En effet, le manque d’uniformité et d’exhaustivité des informations disponibles sur la base des données peut constituer des facteurs de confusion. Finalement, la sous-déclaration, qui peut être secondaire à la méconnaissance de la réglementation par les salariés ou aux spécificités des systèmes officiels de déclaration des AT, ne donne qu’une idée approximative de la prévalence réelle des ATL.

Au terme de cette étude, 293 ATL répondant aux critères d’inclusion ont été recensés, représentant ainsi une prévalence de 14,2 % de tous les AT déclarés pendant la période de l’étude.

Selon une synthèse des résultats de huit travaux visant à estimer l’ampleur de ce problème à l’échelle nationale, Ladhari et al. (6) ont révélé que les ATL représentaient 7,7 % à 9,5 % des AT dans le secteur privé et 4 % à 5 % du total des AT dans le secteur public. Aux États-Unis, Tsai et al. ont rapporté une prévalence de 37,1 % chez les hommes et de 54,1 % chez les femmes (11). En France, selon l’Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS), les lombalgies post-traumatiques concernent un accident de travail sur six (12).

Nos chiffres sont donc très en dessous des chiffres français et surtout américains. Ceci pourrait être expliqué en grande partie par la sous-déclaration des AT. Dans le même contexte, on a noté que le nombre des ATL n’avait cessé d’augmenter, atteignant un pic en 2014  (16,6 %). Ceci renforce la constatation précédente d’une part, et peut témoigner d’autre part de la meilleure prise de conscience, de la part des travailleurs, de leurs droits mais également, de la part des médecins traitants, des droits de leurs patients.

Par ailleurs, la prévalence des ATL dans la littérature varie également en fonction des divers secteurs d’activité. Alors que cette prévalence varie de 22,6 % à 50 % dans le secteur de la construction (13,14) et de 18,8 % à 46,2 % en milieu hospitalier (14,15), elle est de 35 % dans le secteur du textile (16). Cette variabilité de prévalence selon les études serait liée à la différence des méthodologies, des sources de données de la population étudiée, des secteurs d’activité ciblés et des textes législatifs.

Comme il est rapporté dans la littérature, les caractéristiques socio-démographiques des victimes reflètent celles d’une population relativement âgée, essentiellement de sexe masculin (6). La survenue des ATL chez les sujets relativement âgés a été expliquée par la modification de la structure et des capacités fonctionnelles du disque intervertébral ainsi que par la diminution progressive de la masse musculaire lombaire et la perte d’élasticité tissulaire avec l’âge (17). Par ailleurs, la prédominance masculine a été attribuée en partie à la nature des tâches exigeant une force musculaire, habituellement confiées aux hommes.

Dans notre analyse, les catégories professionnelles les plus touchées par les ATL étaient celles des ouvriers non qualifiés, suivis des artisans et des conducteurs. En effet, il s’agit de métiers pénibles exposant habituellement le travailleur à une charge physique considérable. Nos constatations sont en concordance avec les résultats de plusieurs auteurs (18,19). Dans ce même contexte, nous avons trouvé que les conducteurs, principalement ceux de poids lourds et d’engins, étaient fréquemment touchés par les ATL. En effet, cette catégorie professionnelle est particulièrement exposée aux vibrations corps entier. Il a été démontré que les vibrations exposent à un risque élevé de lésions du disque intervertébral pour des fréquences allant de 2 à 10 Hz (20). Elles entraînent une diminution de la distribution du flux sanguin et des perturbations du métabolisme normal du disque intervertébral responsable d’une dégénérescence discale plus rapide et rendant le disque intervertébral plus vulnérable. D’autre part, l’exposition aux vibrations corps entier est susceptible d’entraîner une fatigue des muscles lombaires (21). Le taux élevé de lombalgie dans le secteur industriel rejoint celui retrouvé dans la littérature où la plupart des auteurs s’accordent sur le fait que les travaux pénibles sont générateurs de lombalgie accidentelle (6).

Dans l’étude de Ladhari et al., l’ancienneté moyenne au poste de travail des cas d’ATL était comprise entre 7,8 et 16,2 ans (6) . Nos résultats semblent s’accorder avec ces derniers.

La manutention des charges lourdes représente, selon notre étude, la cause la plus importante des ATL puisqu’elle est retrouvée dans 45,4 % des cas. Ceci rejoint les résultats rapportés dans la littérature (6,22).

En ce qui concerne les antécédents des victimes, 42,7 % de nos malades avaient souffert d’un ou de plusieurs épisodes de lombalgies ou de lombo-sciatalgies antérieurs. Cette association a été décrite par plusieurs auteurs. En effet, dans une étude portant sur

1149 salariés, les auteurs avaient constaté qu’un antécédent de pathologie lombaire multipliait par quatre le risque de sciatalgie (23). La même constatation a été rapportée dans une autre étude finlandaise (24).

Dans notre enquête, presque la totalité des accidentés avaient bénéficié d’un arrêt de travail avec une ITT moyenne de 190,7 jours. Cet arrêt de travail était supérieur à trois mois dans 69,2 % des cas, attestant de la gravité des ATL. La gravité de l’ATL était significativement associée au poste d’ouvrier non qualifié, d’artisan et de conducteur de machine, au traitement chirurgical et à l’importance des séquelles qualifiées en termes d’IPP. Nos résultats contrastent avec ceux retrouvés dans la littérature où les facteurs prédictifs d’un ITT prolongé rapportés étaient l’âge avancé, le sexe féminin, le stress psychologique et le degré d’invalidité (25). D’autres facteurs associés à la gravité des ATL étaient rapportés dans la littérature. Il s’agit du faible niveau d’instruction, de la catégorie professionnelle autre que cadre, de l’obstacle environnemental, du défaut d’adaptation au poste de travail et de l’intensité de la sensation de la douleur (26).

À l’inverse, la nature du centre de soins, un délai de prise en charge entre l’accident et le traitement inférieur à 30 jours et une ancienneté dans le poste supérieure à deux ans étaient des facteurs prédictifs d’un retour rapide au travail après un ATL (25). Par ailleurs, et selon Krause et al., la durée de l’ITT était associée aux facteurs psychosociaux indépendamment de la sévérité des lésions et des contraintes physiques (27).

Concernant le taux médian d’IPP attribué aux victimes, il était de 10 % (ET 7,4). Ce taux était supérieur à 15 % dans 33,8 % des cas, reflétant la lourdeur des séquelles. L’importance des séquelles était statistiquement associée à la manutention lourde, au traitement chirurgical, à l’absence de reprise du travail et à la gravité de l’accident. La valeur moyenne du taux d’IPP relevée dans notre étude rejoint celle trouvée par d’autres auteurs (6,28).

Bien que les taux d’IPP fussent inférieurs à 15 % dans presque deux tiers des cas, témoignant ainsi de séquelles souvent minimes, il ne faut cependant pas négliger le fait que le tiers des patients avaient gardé des séquelles lourdes. En effet, des études menées dans divers pays industrialisés soulignent l’importance des coûts directs (indemnités, remplacements) qui sont trois à quatre fois supérieurs aux coûts indirects (diagnostic, soins) (6).

En Tunisie, les données concernant le coût financier des ATL sont rares. Celui-ci a été évalué par un travail portant sur 64 victimes d’ATL relevant du secteur privé et indemnisées par la CNAM durant la période allant de 1995 à 1999. Il en ressort que le montant moyen versé par an pour chaque cas d’ATL, dans le cadre de l’ITT, a été de 1449,319 dinars tunisiens. Quant au coût global direct par cas, il a été de 2089,168 dinars tunisiens par an (6).

Aux États-Unis d’Amérique, le coût total des lombalgies professionnelles se situait entre 84,1 et

624,8 milliards de dollars par an selon une revue systématique de littérature menée en 2008 (29). La part imputable à un accident de travail représente 33 % de l’ensemble du coût des accidents de travail (30). Ainsi, ces données laissent prédire un coût financier considérable des ATL en termes de coûts directs et aussi indirects (6).

Conclusion 

Notre étude a mis la lumière sur l’augmentation de la fréquence des ATL dans le secteur privé dans la région du centre tunisien. Il s’agissait souvent d’un accident grave avec des séquelles lourdes touchant fréquemment le sujet adulte en pleine activité professionnelle. La catégorie professionnelle des ouvriers, des artisans et des conducteurs paraît comme un facteur associé à la gravité des ATL. Également, le traitement chirurgical constitue un facteur prédictif aussi bien de la gravité que de la lourdeur des séquelles de ces accidents. Des études plus approfondies et plus larges sont nécessaires pour mieux évaluer l’ampleur du problème et sa gravité afin de guider une démarche préventive appropriée.

Conflit d’intérêt : Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt en relation avec cet article.

Financement : aucun.

Occupational lumbar back accidents in the private sector: prevalence and factors associated with their severity and sequelae in central Tunisia

Abstract

In Tunisia, few studies have been focused on occupational lumbar back accidents. We conducted a descriptive retrospective study of private sector employees in central Tunisia who were victims of lumbar back accidents, reported during a 5-year period from 2010 to 2014, to determine the prevalence and factors associated with their severity and sequelae. Data were collected from the regional centre of the National Health Insurance Fund of Sousse. We identified 293 cases, a prevalence of 14.2% in relation to all occupational accidents reported during this period. More than two thirds of the injured (69.2%) were victims of serious occupational lumbar back accidents and 33.8% of victims reported serious sequelae. After adjustment by binary logistic regression, the occupational category persisted as an associated factor with the severity of occupational lumbar back accidents (P = 0.001, OR = 2.86 [1.50–5.47]). Surgical treatment appeared as an associated factor of severity (P < 0.001, OR = 9.06 [3.09–26.56]) and prominent after effects resulting from these accidents (P < 0.001 OR = 54.72 [18.84–158.93]). Occupational lumbar back accidents are a real health problem. Thus, a preventive strategy should be implemented to reduce their socio-economic consequences.

حوادث العمل المؤثرة على القَطَنية في القطاع الخاص: انتشارها وعوامل الخطر المرتبطة بشدتها وعواقبها في منطقة وسط تونس

عائشة براهم، محمد بوهلال، إيمان قاسم، ماهر موة، وداد بو غطاس، درة خلفاوي، كمال رجب، سهيل الشطي، ألفة المعلال، نجيب مريزق

الخلاصة

الخلفية: ركز قليل من الدراسات في تونس على حوداث العمل المؤثرة على القَطَنية.

الهدف: أجرينا دراسة وصفية رجعية عن موظفي القطاع الخاص في مركز تونس لضحايا حوادث العمل المؤثرة على القَطَنية، المبلغ عنها خلال فترة 5 سنوات من 2010 إلى 2014، لتحديد مستوى انتشارها والعوامل المرتبطة بشدتها وعواقبها.

طرق البحث: جُمعت البيانات من المركز الإقليمي للصندوق الوطني للتأمين الصحي في سوسة. وحددنا 293 حالة، بمعدل انتشار يبلغ 14.2% من جميع حوادث العمل المبلغ عنها خلال هذه الفترة.

النتائج: تبين أن أكثر من ثلثي المصابين (69.2%) هم من ضحايا حوادث عمل خطيرة مؤثرة على القَطَنية وتبين أن 33.8% من الضحايا تعرضوا لعواقب خطيرة. وبعد الاستعدال باستخدام الانحدار اللوجستي الثنائي، ظلت الفئة الوظيفة عاملاً مرتبطاً بشدة إصابات العمل المرتبطة بالقطنية (P =0.001 OR = 2.86 [1.50-5.47]). كما ظهر العلاج الجراحي كعامل مرتبط بشدة الإصابة (P

الاستنتاج: تمثل حوادث العمل التي تصيب الفقرات القَطَنية مشكلة صحية حقيقية في العمل. ومن ثم، ينبغي تنفيذ استراتيجية وقائية للحد من آثارها الاقتصادية والاجتماعية.

Références

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