Profil étiologique des pancytopénies chez l’adulte à Marrakech (Maroc)

PDF version

Brève communication

H. Nafil,1 I. Tazi,1 M. Sifsalam,1 M. Bouchtia 1 et L. Mahmal 1

مرتسم أسباب قلة الكريات الشاملة لدى البالغين في مراكش بالمغرب

حاتم نفيل، إلياس التازي، محمد سيف السلام، محمد بوشتيه، لحسين مهمال

الخلاصة: قيَّمت هذه الدراسة الاستعادية تكرار الأسباب المختلفة لقلة الكريات الشاملة لدى جميع المرضى البالغين المصابين بالمرض والقادمين إلى قسم الدمويات في مستشفى الملك محمد السادس، في مراكش، بدءاً من أول كانون الثاني/يناير 2008 حتى 31 كانون الأول/ديسمبر 2010. وشملت الدراسة 118 حالة من قلة الكريات الشاملة (وكان الوسطي 39 حالة سنوياً). وبلغ وسطي عمر المرضى 52 سنة (المدى 18-82 سنة) وكان 52.5 % منهم من الذكور. وكانت الأعراض السريرية (الإكلينيكية) الرئيسية هي الشحوب (%100)، والوهن (%100)، والحمى (%30.5). وبلغ متوسط الهيموغلوبين 6.5 غرام لكل ديسي لتر (المدى 2.9-9.2 غرام لكل ديسي لتر)، وبلغ متوسط عدد الخلايا الدموية البيضاء 2360 لكل مليمتر مكعب (المدى 840-3360 لكل مليمتر مكعب)، وبلغ عدد الصُّفَيْحات 66000 لكل مليمتر مكعب (المدى 3000-123000 لكل مليمتر مكعب). وقد أجري شفط لنخاع العظم في 112 مريضاً؛ ووجدت كثرة الأرومات ضخمة في النقي في %32.2، وأرومات النقي في %23.7. وكان الأسباب الرئيسية في قلة الكريات الشاملة هو فقر الدم بسبب عوز فيتامين ب12 (%32.2)، وابيضاض الدم الحاد (%23.7)، وفقر الدم بعدم النسج (%15.2). ونظراً لمعدل انتشار ابيضاض الدم الحاد بين حالات الدراسة، فإن المرضى الذين يظهر عليهم قلة الكريات الشاملة يحتاجون إلى تشخيص وعلاج عاجلين.

RÉSUMÉ Cette étude rétrospective a évalué la fréquence des différentes causes de pancytopénie chez tous les patients adultes admis pour pancytopénie au service d’Hématologie du CHU Mohammed VI de Marrakech du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2010. Au total, 118 cas de pancytopénie ont été colligés (moyenne de 39 cas par an). L’âge moyen des patients est de 52 ans (extrêmes 18-82 ans) et 52,5 % des patients sont de sexe masculin. Les signes cliniques sont dominés par la pâleur cutanéo-muqueuse (100 %), l’asthénie (100 %) et la fièvre (30,5 %). Le taux moyen d’hémoglobine est de 6,5 g/dL (extrêmes 2,9-9,2 g/dL), le taux moyen des globules blancs est de 2360/mm3 (extrêmes 840-3360/mm3) et celui des plaquettes de 66 000/mm3 (extrêmes 3000-123 000/mm3). Le myélogramme est réalisé chez 112 patients. Il objective une mégaloblastose médullaire dans 32,2 % des cas et une blastose médullaire dans 23,7 %. L’anémie par carence en vitamine B12 (32,2 %), les leucémies aiguës (23,7 %) et l’aplasie médullaire (15,2 %) sont les principales causes de pancytopénie. La fréquence des leucémies aiguës fait toute la gravité de la pancytopénie, imposant un diagnostic et un traitement urgent.

Etiological profile of pancytopenia in adults in Marrakesh, Morocco

ABSTRACT This retrospective study evaluated the frequency of different causes of pancytopenia in all adult patients with pancytopenia presenting to the Department of Haematology of Mohamed VI Hospital, Marrakesh from 1 January 2008 to 31 December 2010. A total of 118 cases of pancytopenia were found (average of 39 cases per year). The mean age of patients was 52 years (range 18–82 years) and 52.5% were male. The main clinical signs were pallor (100%), asthenia (100%) and fever (30.5%). Mean haemoglobin was 6.5 g/dL (range 2.9–9.2 g/dL), mean white blood cell count was 2360/mm3 (range 840–3360/mm3) and platelet count 66 000/mm3 (range 3000–123 000/mm3). Bone marrow aspiration was performed in 112 patients; megaloblastosis was found in 32.2% and marrow blasts in 23.7%. Anaemia due to vitamin B12 deficiency (32.2%), acute leukaemia (23.7%) and aplastic anaemia (15.2%) were the main causes of pancytopenia. Given the incidence of acute leukemia among our cases, patients presenting with pancytopenia require urgent diagnosis and treatment.

1Service d’Hématologie, CHU Mohammed VI, Université Cadi Ayyad, Marrakech (Maroc) (Correspondance à adresser à H. Nafil : This email address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it.)

Reçu : 31/10/11 ; accepté : 12/12/11

EMHJ, 2012, 18(5): 532-535


Introduction

La pancytopénie se définit par l’association, à des degrés variables, d’une anémie, d’une neutropénie et d’une thrombopénie [1]. C’est une entité clinico-biologique fréquente en hématologie qui peut s’observer dans diverses situations [1]. Elle peut être d’origine centrale par trouble de la production médullaire (insuffisance médullaire qualitative ou quantitative) ou d’origine périphérique (destruction ou séquestration extra-médullaire des éléments sanguins). Dans d’autres cas, elle peut associer les deux mécanismes [1,2]. Devant une pancytopénie, les problèmes diagnostiques essentiels concernent l’évaluation de la gravité et la recherche de l’affection causale [3].

Au Maroc, la fréquence des pancytopénies est inconnue. L’objectif de notre étude est d’étudier le profil étiologique des pancytopénies dans la région de Marrakech.

Méthodes

Il s'agit d'une étude rétrospective réalisée du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2010 au service d’Hématologie du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) Mohammed VI de Marrakech. Sont inclus dans cette étude tous les patients adultes admis au service pour pancytopénie.

La pancytopénie est définie par l’association des critères suivants :

un taux d’hémoglobine (Hb) < 12 g/dL ;

un taux de globules blancs (GB) < 4000/mm3 avec un taux de polynucléaires neutrophiles (PNN) < 1500/mm3 ;

un taux de plaquettes (Plq) < 150 000/mm3.

Les patients pris en charge pour aplasie post-chimiothérapie et acutisation d’hémopathies malignes connues ont été exclus de cette étude.

Pour tous les patients ont été précisées leurs caractéristiques (âge, sexe, antécédents médicaux, signes cliniques) ainsi que les données de l’hémogramme avec frottis sanguin. En fonction de l’orientation clinique et de l’hémogramme, un bilan complémentaire était réalisé, comportant un myélogramme, un dosage de lavitamine B12 et de l’acide folique, une biopsie ostéo-médullaire, un immunophénotypage médullaire et une écho­graphie abdominale.

Résultats

Caractéristiques des patients 

Entre le 1er janvier 2008 et le 31 décembre 2010 (3 ans), 118 cas de pancytopénie sont colligés, soit une moyenne de 39 cas par an.

L’âge moyen des patients est de 52 ans (extrêmes 18-82 ans) ; 52,5 % des patients sont de sexe masculin et 47,5 % de sexe féminin (sex ratio hommes/femmes : 1,1). Les patients sont d’origine rurale dans 52 % des cas.

Caractéristiques cliniques

La durée moyenne d’évolution est de 3 mois (extrêmes 10 jours-36 mois). Les signes cliniques sont dominés par la pâleur cutanéo-muqueuse (100 %), l’asthénie (100 %) et la fièvre (30,5 %) (Tableau 1) .

Caractéristiques biologiques

Le taux moyen d’hémoglobine est de 6,5 g/dL (extrêmes 2,9-9,2 g/dL), le taux moyen des globules blancs est de 2360/mm3 (extrêmes 840-3360/mm3) et celui des plaquettes de 66 000/mm3 (3000-123 000/mm3). Sur les 118 patients, 40,5 % présentaient une anémie et 42,4 % une anémie avec macrocytose (Tableau 2). Le myélogramme est réalisé chez 112 patients (95 %). Il objective une mégaloblastose médullaire dans 32,2 % des cas, une blastose médullaire (≥ 20 %) dans 23,7 % des cas, une moelle pauvre dans 17,0 % des cas et des signes de dysplasie dans 10,2 % des cas. Le myélogramme est d’aspect normal dans 6,7 % des cas (Tableau 3) .

Le dosage de la vitamine B12 et de l’acide folique, réalisé en cas de mégaloblastose médullaire, a confirmé le déficit en vitamine B12. Le taux moyen de vitamine B12 est de 74 pg/mL (extrêmes 20-99 pg/mL) [Valeur normale : 200-1100 pg/mL].

La biopsie ostéo-médullaire (BOM), réalisée en cas de myélogramme pauvre ou non concluant, a objectivé une aplasie médullaire dans 18 cas (15,2 %), une myélofibrose médullaire dans deux cas (1,7 %), une leucémie à tricholeucocytes dans deux cas (1,7 %), et des métastases médullaires de cancers non hématologiques dans deux cas (1,7 %).

L’immunophénotypage médullaire, réalisé en cas de leucémie aiguë difficile à classer (LADAC) et de cellules lymphoïdes atypiques au myélogramme, a permis le diagnostic de leucémie aiguë lymphoblastique (LAL) chez quatre patients, de leucémie aiguë myéloblastique (LAM) chez deux patients et d’infiltration médullaire par un lymphome du manteau chez deux patients.

L’échographie abdominale, réalisée en cas de splénomégalie ou hépatomégalie, a objectivé une splénomégalie isolée dans six cas (5,1 %), une splénomégalie associée à une hépatomégalie dans quatre cas (3,4 %) et une splénomégalie associée à des signes d’hypertension portale (HTP) en rapport avec une cirrhose hépatique dans 12 cas (10,2 %).

Étiologies

Les causes sont dominées par l’anémie par carence en vitamine B12 (32,2 %), les leucémies aiguës (23,7 %) et l’aplasie médullaire (15,2 %)(Tableau 4).

Discussion

Il n’existe à ce jour qu’un nombre limité d’études évaluant le spectre étiologique de la pancytopénie [2,3]. Notre étude concerne 118 cas de pancytopénie, colligés sur une période de 3 ans. L’âge moyen des patients est de 52 ans avec une légère prédominance masculine (sex ratio hommes/femmes : 1,1). Le motif le plus fréquent de consultation est représenté par la pâleur cutanéo-muqueuse (100 %) et l’asthénie (100 %). Des résultats identiques ont été rapportés dans d’autres études [3].

Les autres signes diffèrent selon les études, certainement en raison du large spectre étiologique de la pancytopénie [3].

Les causes de la pancytopénie varient en fonction de l’âge et de l’origine géographique des patients [2,3]. L’anémie par carence en vitamine B12 est la cause la plus fréquente de pancytopénie dans notre étude (32,2 % des cas).

La carence en vitamine B12 (cobalamine), particulièrement fréquente dans la population âgée (15 %), est classiquement responsable des anémies mégaloblastiques. Elle est responsable d'un défaut de synthèse de l’ADN, lui-même responsable d'une diminution des mitoses, de la prolongation du cycle cellulaire et de la destruction intramédullaire des érythroblastes. Elle peut être grave si non diagnos-tiquée à cause des complications hématologiques (pancytopénie, pseudo-microangiopathie thrombotique) et neurologiques (sclérose combinée médullaire) [4].

Il s'agit de la cause la plus fréquente de pancytopénie en Asie et en Afrique[5,6]. Sa fréquence varie de 38 à 74 % en Asie [3,5,7-9] et elle est de 49 % en Afrique [6]. Cette fréquence est probablement expliquée par le mode d’alimentation pauvre en nourriture carnée et en végétaux, sources principales de cobalamines [6]. L’anémie par carence en vitamine B12 est une cause rare de pancytopénie en France (7,5 %) [10].

Dans notre étude, la fréquence élevée de la carence en vitamine B12 parmi les causes de pancytopénie peut s’expliquer, en dehors d’une carence d’apport, par l’évolution insidieuse de la maladie : l’anémie est d’installation lente et souvent bien tolérée. Les patients consultent à un stade avéré de la carence, la pancytopénie est bien installée [4].

Dans notre étude, les hémopathies malignes représentent 47,5 % des causes de pancytopénie. La cause majeure est la leucémie aiguë (23,7 %), souvent myéloblastique (15,2 %).

Les leucémies aiguës (LA) aboutissent à l’accumulation, dans la moelle, le sang et éventuellement d'autres organes, de précurseurs des cellules sanguines de nature myéloïde ou lymphoïde bloqués à un stade précoce de leur différenciation (blastes). En raison du remplacement des cellules hématopoïétiques normales par les cellules blastiques, les patients se présentent avec des signes d'insuffisance médullaire au premier plan (anémie, hémorragie, infection) [11]. Le contexte hématologique évident doit faire évoquer le diagnostic et un myélogramme doit être réalisé sans retard car l'évolution spontanée est rapidement fatale [11].

Dans l’étude de Imbert et al., les hémopathies malignes constituent 60 % des causes de pancytopénie [10].

La fréquence des leucémies aiguës parmi les causes de pancytopénie varie de 3,85 à 19,59 % selon les études [2,3]. La leucémie aiguë myéloblastique (LAM) est le type prédominant [2, 3]. La LAM est le type de leucémie aiguë le plus fréquent chez l’adulte [11].

Nos résultats, corroborant les données de la littérature, sont probablement dus à un diagnostic biologique bien élaboré. La caractérisation de la population blastique par les marqueurs immunologiques et cytogénétiques permet de surmener les difficultés du diagnostic et du classement des LA au myélogramme seul.

L’aplasie médullaire (AM) est la troisième cause, la plus fréquente, de pancytopénie dans notre étude (15,2 %). C’est une maladie rare dont l’incidence est de 2 cas par million d’habitants par an en Europe et aux États-Unis [12]. Les critères diagnostiques associent une diminution stable de 2 ou 3 lignées sanguines et une moelle pauvre sur biopsie médullaire. L’AM peut être d’origine constitutionnelle, acquise ou souvent idiopathique [13].

Dans d’autres études, la fréquence de cette cause varie de 18,26 à 29,05 % en Asie [2, 3,14], et elle est de 10-25 % en Occident [15]. L’AM est parfois la cause la plus fréquente de pancytopénie dans certains pays : l’effet de l’exposition professionnelle chronique aux pesticides et insecticides est largement évoqué pour expliquer cette fréquence [16]. Bien que le Maroc soit un pays agricole, aucune exposition aux pesticides n’est observée chez nos patients. L’AM est considérée idiopathique dans tous les cas.

Les étiologies de la pancytopénie sont nombreuses et variées. Le diagnostic des causes rares (leucémie à tricholeucocytes, myélofibrose médullaire) impose une confrontation clinico-biologique optimale.

Conclusion

La pancytopénie est un motif de consultation fréquent en hématologie. Les causes sont multiples, dominées dans notre contexte par l’anémie par carence en vitamine B12, affection engageant rarement le pronostic vital des patients.

La fréquence des leucémies aiguës fait toute la gravité de la pancytopénie, imposant un diagnostic et un traitement urgent.

Références

  1. Williams DM. Pancytopenia, aplastic anemia and pure red cell aplasia. In: Greer JP et al., eds. Wintrobe’s clinical hematology, 10th ed. Baltimore, William and Willkins, 1993:1449–1484.
  2. Jha A et al. Bone marrow examination in cases of pancytopenia. Journal of the Nepal Medical Association, 2008, 47:12–17.
  3. Gayathri BN, Rao KS. Pancytopenia: a clinic hematological study. Journal of Laboratory Physicans, 2011, 3:15–20.
  4. Federici L et al. Manifestations hématologiques de la carence en vitamine B12 : données personnelles et revue de la littérature [Update of clinical findings in cobalamin deficiency: personal data and review of the literature]. La revue de médecine interne, 2007, 28(4):225–231.
  5. Kumar R et al. Pancytopenia—a six year study. Journal of the Association of Physicians of India, 2001, 49:1078–1081.
  6. Lavigne C et al. Place des étiologies carentielles dans les pancytopénies à Djibouti. À propos de 81 patients consécutifs [Role of vitamin deficiency in pancytopenia in Djibouti. Findings in a series of 81 consecutive patients]. Médecine tropicale, 2005, 65(1):59–63.
  7. Tilak V, Jain R. Pancytopenia—a clinico-hematological analysis of 77 cases. Indian Journal of Pathology & Microbiology, 1999, 42:399–404.
  8. Khunger JM et al. Pancytopenia—a clinico haematological study of 200 cases. Indian Journal of Pathology & Microbiology, 2002, 45:375–379.
  9. Ishtiaq O et al. Patterns of pancytopenia patients in a general medical ward and a proposed diagnostic approach. Journal of Ayub Medical College, Abbottabad, 2004, 16:8–13.
  10. Imbert M et al. Adult patients presenting with cytopenia: a reappraisal of underlying pathology and diagnostic procedures in 213 cases. Hematologic Pathology, 1989, 3:159–167.
  11. Lowenberg B, Burnett AK, Downing JR. Acute myeloid leukaemia. New England Journal of Medicine, 1999, 34:1051–1062.
  12. Incidence of aplastic anemia: the relevance of diagnostic criteria. By the International Agranulocytosis and Aplastic. Anemia Study. Blood, 1987, 70:1718–1721.
  13. Brodsky RA, Jones RJ. Aplastic anaemia. Lancet, 2005, 365:1647–1656.
  14. Santra G, Das BK. A cross-sectional study of the clinical profile and aetiological spectrum of pancytopenia in a tertiary care centre. Singapore Medical Journal, 2010, 51:806–812.
  15. Young NS. Acquired aplastic anemia. Annals of Internal Medicine, 2002, 136:534–546.
  16. Issaragrisil S et al. Aplastic anemia in rural Thailand: its association with grain farming and pesticide exposure. American Journal of Public Health, 1997, 87:1551–1554.