Research article
H.L. Ben Gobrane,¹ H. Aounallah-Skhiri,¹ A. Ben Hamida,² N. Somrani,³ M. Ayachi,¹ N. Achour¹ et M. Hsairi¹
دواعي استخدام أقسام الطوارئ في المستشفيات الرئيسية في تونس الكبرى
هاجَر لَزْعَر بن قُبران، هاجر عون الله السخيري، عبد المجيد بن حميدة، نوفل السمراني، ماجري العيَّاشي، نور الدين عاشور، محمد الحصايري
الخلاصة: تعاني تونس، شأنها شأن العديد من البلدان، من مشكلة الازدحام في أقسام الطوارئ. وتهدف هذه الدراسة لتحليل دواعي استخدام أقسام الطوارئ، ووصف مدى خطورة الحالات التي تراجعها والمسار الذي اتبعوه حتى وصولهم إليها. وهي دراسة مستعرضة أجريَت في عام 2009 في أقسام الطوارئ في أربعة من مستشفيات تونس الكبرى، وشملت 1058 مريضاً من الجنسين تبلغ أعمارهم ثمانية عشر عاماً، بعد توزيعهم إلى شرائح بحسب موعد حضورهم إلى قسم الطوارئ (صباحاً، عصراً، مساءً). وقد سجل الباحثون المعطيات التي حصلوا عليها حول الخصائص الاجتماعية والديمغرافية للمشاركين في الدراسة، وأسباب اختيارهم لقسم الطوارئ، وموعد وصولهم إليه، والسبب الذي دعاهم إلى ذلك، والتشخيص، وشدّة المرض. وقد كان أكثر من نصف المرضى (%52.5) من الذكور، وكان متوسط أعمارهم 46 عاماً (± 18.1 عاماً)، وتمثَّلت الأسباب الرئيسية لاختيار قسم الطوارئ في السرعة (%54.0)، وسهولة الوصول إليه (%47.7)، والإصابة بهجمة حادة (%26.4). ولم يكن المرضى الذين يعانون بالفعل من مرض شديد يمثِّلون أكثر من %6.3 من إجمالي الحالات. وقد توصَّل الباحثون إلى ضرورة تطبيق الممارسات الجيدة وضرورة وجود تكامُل أفضل بين الأقسام العامة والخاصة وبين أقسام الطوارئ وذلك من أجل تقليص عدد المراجعات التي لا لزوم لها لأقسام الطوارئ.
RÉSUMÉ La Tunisie, à l’instar de nombreux pays, n’est pas épargnée par le problème de l’encombrement majeur des services d’urgence. Cette étude analyse les motifs de recours aux urgences et décrit leur degré de gravité et l’itinéraire que les usagers de ces services empruntent avant leur arrivée. Il s’agit d’une étude transversale effectuée en 2009 dans les services d’urgence de quatre hôpitaux du Grand Tunis, auprès d’un échantillon de 1058 patients des deux sexes, âgés de 18 ans et plus, avec une stratification selon l’horaire de recours à ces services (matin, après-midi et soir). Des données ont été recueillies sur les caractéristiques socio-démographiques des participants, les raisons du choix du service, l’heure et les motifs de consultation, le diagnostic et la gravité de l’état de santé. Plus de la moitié des patients (52,5 %) étaient de sexe masculin ; la moyenne d’âge était de 46,0 ans (ET 18,1). Les raisons du choix du service d’urgence étaient surtout la rapidité (54,0 %) et la facilité d’accès (47,7 %), suivies de la survenue d’un épisode aigu (26,4 %). Les patients se trouvant dans un état réellement grave ne représentaient que 6,3 % des cas. De bonnes pratiques et une meilleure complémentarité entre les services publics et privés et les services d’urgence sont nécessaires pour réduire le recours inutile à ces derniers.
Reasons for using emergency departments of major hospitals in Greater Tunis
ABSTRACT Tunisia, similar to many countries, has a problem of overcrowding of the emergency departments (ED). This study aimed to analyse the reasons for using EDs, and to describe the seriousness of the attendees’ condition and their itinerary before their arrival at ED. This cross-sectional study in 2009 was conducted in ED of 4 hospitals in Greater Tunis and targeted 1058 patients of both sexes, aged ≥ 18 years, with stratification according to time of day of presentation to ED (morning, afternoon and evening). Information was recorded on the sociodemographic characteristics of the study participants, reasons for choosing ED, time of and reason for consultation, diagnosis and severity of illness. Over half the patients (52.5%) were male and the mean age was 46.0 (SD 18.1) years. The main reasons for choosing the ED were: speed (54.0%) and ease of access (47.7%) of ER and occurrence of an acute episode (26.4%). Patients with serious illness accounted for only 6.3% of those interviewed. Implementation of good practices and better coordination between public and private services and the ED are needed to reduce unnecessary visits to ED.
¹ Institut National de Santé Publique, Tunis (Tunisie) (Correspondance à adresser à H.L. Ben Gobrane :
² Faculté de Médecine de Tunis, Tunis (Tunisie).
³ Ministère de la Santé publique, Tunis (Tunisie).
Reçu : 18/04/11; accepté : 20/04/11
EMHJ, 2012, 18(1):56-65
Introduction
Les services d’urgence (SU) du monde entier constituent un maillon vital entre la prise en charge préhospitalière et l’hospitalisation des consultants [1-4].
Au cours des dernières décennies, les SU des hôpitaux n’ont cessé de voir leur activité augmenter [2]. Cette hausse constante de la fréquentation des services d’urgence est un phénomène commun à tous les pays qui en possèdent [3,4]. Au Canada en 2001, on enregistrait une augmentation du nombre de passages annuels aux urgences de 5 % en 3 ans [5] ; au Royaume-Uni, on a observé une augmentation de 1 % par an depuis le milieu des années 1990 [6], alors qu’aux États-Unis, une croissance de 14 % a été enregistrée entre 1992 et 1999 [7]. Par ailleurs, plusieurs pays de la Région de la Méditerranée orientale sont concernés par cette hausse du recours aux SU [8,9]. À titre d’exemple, entre les années 2003 et 2005, l’Arabie saoudite a connu une augmentation du nombre de passages aux urgences de 30 % [1].
La Tunisie, à l’instar de nombreux pays, n’est pas épargnée par le problème de l’encombrement majeur des services d’urgence : au total, plus de 3 500 000 recours sont enregistrés chaque année [3]. Une structure universitaire reçoit en moyenne plus de 100 000 cas par an. Ces chiffres indiquent une confrontation de ces services à un niveau de charge structurellement tendu, qui est préjudiciable au bon fonctionnement des urgences.
Parmi les causes responsables de cet encombrement figure l’absence de caractère urgent du motif de recours [2]. En Tunisie, peu d’études se sont attardées sur les motifs de recours aux services d’urgence et sur les trajectoires que les usagers ont empruntées avant leur arrivée à ces services. C’est l’objet de cette étude qui se propose d’analyser les motifs de recours aux urgences et la gravité de l’état de santé des patients. Elle décrit également l’itinéraire que les usagers des SU empruntent avant leur arrivée aux urgences.
Méthodologie
Il s’agit d’une étude transversale qui a été effectuée dans les services d’urgence des hôpitaux La Rabta, Charles Nicolle, Habib Thameur et Ben Arous.
Échantillonnage
Ce travail a ciblé l’ensemble des patients des deux sexes, âgés de 18 ans et plus, quel que soit l’horaire de recours aux services d’urgence des hôpitaux susmentionnés durant les mois de septembre et octobre 2009.
La taille de l’échantillon a été estimée à 1000 personnes, réparties sur les quatre hôpitaux, choisies selon un sondage systématique à partir du registre d’inscription en incluant d’une manière prospective les malades dont le numéro est impair, et jusqu’à l’atteinte de l’effectif prévu, avec une stratification sur les plages horaires (séance du matin de 7 h à 12 h 59 , de l’après-midi de 13 h à 18 h 59, du soir de 19 h à 6 h 59).
Recueil des données
Le recueil des données a été effectué par questionnaire, préalablement testé et administré par des enquêteurs infirmiers.
Les données concernaient les caractéristiques socio-démographiques, les raisons ayant motivé le choix du service d’urgence, l’heure et les motifs de consultation, l’établissement d’un diagnostic avec le cas échéant, la nature du diagnostic et la gravité de l’état de santé, en se fondant sur la classification clinique des malades des urgences (CCMU) [6].
Saisie et analyse des données
Les données ont été saisies à l’aide du logiciel Epi info (version 6.04). L’analyse a été effectuée avec le logiciel SPSS version 10.
Les variables quantitatives ont été décrites par les paramètres classiques (moyenne, écart type [ET]), et les variables qualitatives, par un calcul de fréquences. Tous les tests statistiques sont bilatéraux et le seuil de signification a été fixé à 0,05. La comparaison des moyennes a été effectuée en utilisant le test t de Student et le test d’analyse de variance. La comparaison des pourcentages a été effectuée par le test de χ2 et le test exact de Fisher.
Résultats
Caractéristiques socio-démographiques
Au total, 1058 patients ont participé à cette étude. Ils étaient répartis de façon sensiblement équivalente entre les quatre hôpitaux sélectionnés. Plus de la moitié des patients (52,5 %) étaient de sexe masculin ; la moyenne d’âge était de 46,0 ans (ET 18,1) ; 24,8 % étaient âgés de plus de 60 ans. La majorité des patients (61,0 %) étaient mariés et 28,0 % étaient célibataires. Il s’agit d’une population relativement peu instruite, dont près de la moitié (45,4 %) n’a pas dépassé le cycle de l’enseignement primaire. Environ la moitié des participants (46,6 %) exerçait une activité professionnelle ; 32,1 % étaient sans activité ou femme au foyer et 12,5 % étaient retraités. La répartition selon le régime d’assurance maladie montre que 52,0 % bénéficiaient du régime de la Caisse nationale d’Assurance maladie (CNAM) « Soins dans les structures publiques » ; 17,4 % étaient des indigents et 18,1 % étaient des malades payants.
Répartition selon l’hôpital et la plage horaire
Le recours aux urgences était plus fréquent au cours de la nuit (40,2 %), notamment pour les hôpitaux Habib Thameur (48,0 %) et Ben Arous (43,6 %) (cf. tableau 1).
Accessibilité des services d’urgence et moyen de transport
Plus de la moitié des participants (55,4 %) résidait à moins de 5 km du service d’urgence et 69,1 % à moins de 30 minutes. L’accessibilité aux services d’urgence était différente selon l’hôpital, le service de l’hôpital Habib Thameur ayant été déclaré le plus accessible par les patients interrogés.
Le principal moyen de transport utilisé était de loin « une voiture privée » (79,8 %) ; le transport par ambulance ne représentait que 2,4 % des cas et le transport par la protection civile n’a été assuré que dans 2,8 % des cas.
Modalités d’orientation vers le service d’urgence
Le recours au service d’urgence se faisait selon une initiative personnelle dans environ trois quarts des cas (72,9 %) ; le patient n’était adressé par un médecin que dans 17,4 % des cas et dans 6,4 % des cas, il était adressé par un autre service d’urgence. La fréquence de recours préalable à un médecin augmente avec l’âge de façon significative, passant de 11,8 % chez les patients de moins de 25 ans à 26,4 % chez les patients de plus de 70 ans. Elle est relativement faible chez les personnes célibataires (12,5 %) mais beaucoup plus élevée chez les personnes divorcées (42,9 %). Le recours préalable à un médecin est aussi significativement plus fréquent durant la séance du matin (23,8 %), par rapport aux séances de l’après-midi et de la nuit (14,2 % et 13,9 % respectivement, ptableau 2 ).
Principales raisons ayant motivé le choix du service d’urgence
Les raisons majeures du choix du service d’urgence étaient la rapidité (54,0 %) et la facilité d’accès au service d’urgence (47,7 %), notamment chez les personnes en activité, suivies de la survenue d’un épisode aigu (26,4 %). La disponibilité des équipements a été indiquée dans 12,4 % des cas et le manque d’argent dans 10,3 %, alors que l’absence du médecin traitant n’a été mentionnée que par 3,3 % des patients. Ces motifs ont été plus fréquemment évoqués par les personnes d’un niveau de scolarisation inférieur au cycle primaire (cf. tableau 3).
Symptomatologie ayant motivé le recours aux urgences et état de gravité des patients
Pour la majorité des patients interrogés (81,0 %), il s’agissait d’un problème de santé intercurrent, principalement un problème digestif (16,7 %), un problème respiratoire (15,7 %) ou un problème cardiovasculaire (15,4 %), alors que pour les autres patients (19,3 %), il s’agissait d’une douleur aiguë ou d’une blessure, en particulier un accident domestique (7,0 %), un acte de violence (4,4 %) ou un accident de la voie publique (3,9 %).
Les accidents domestiques étaient relativement plus fréquents chez les patients de sexe féminin consultant à l’hôpital Charles Nicolle. Les accidents de violence quant à eux étaient beaucoup plus fréquents chez les patients de sexe masculin, relativement jeunes (âgés de moins de 40 ans), consultant la nuit à l’hôpital Ben Arous.
Les problèmes digestifs étaient plus fréquents chez les femmes en consultation à l’hôpital Habib Thameur. Au contraire, les problèmes respiratoires et cardiovasculaires concernaient davantage les hommes. Ces problèmes cardiovasculaires étaient relativement plus fréquents chez les patients de plus de 60 ans (cf. tableau 4 ).
Les patients se trouvant dans un état réellement grave ne représentaient que 6,3 % des cas. Aucune gravité de l’état de santé n’a été observée chez le tiers des patients environ (32,8 %) ; pour plus de la moitié, l’état de santé était stable mais des examens complémentaires étaient recommandés (cf. tableau 5 ).
Discussion
Le phénomène d’encombrement des urgences semble universel. Il s’explique par des causes communes à tous les pays, et par des causes spécifiques dues à la politique sanitaire [5,6]. La décision du choix du recours aux SU varie notamment selon le niveau socio- économique, l’âge et l’horaire d’arrivée aux urgences [7,10].
La clientèle des services d’urgence dans notre étude était essentiellement composée de patients de niveau d’instruction moyen ; près de la moitié n’avait pas d’emploi. Ce profil de consultants se rapproche de celui d’une étude canadienne qui a observé que les patients à plus faible revenu ont été plus nombreux à se rendre dans les SU que les patients au revenu plus élevé (18 % contre 13 %) et que les patients des zones rurales ont davantage recours aux SU que ceux des zones urbaines (15 % contre 13 %) [5]. Au contraire en France, les personnes qui ont eu le plus recours aux urgences étaient plutôt bien insérées socialement, et avaient une activité professionnelle [11,12] ; de même au Koweït, les patients les plus instruits et ceux issus d’une classe sociale élevée étaient les plus nombreux à recourir aux urgences pour des motifs non urgents [13].
Le choix d’un recours aux urgences plus fréquent pour les populations les plus défavorisées serait selon les patients, justifié par le fait que ces derniers pourraient bénéficier d’examens complémentaires, voire d’une consultation spécialisée à moindre coût comparativement au circuit de consultation dans le système ambulatoire.
Dans notre étude, la majorité des consultants ont eu recours aux urgences de leur propre initiative. Ce constat est rapporté par plusieurs études [14-16]. Par ailleurs, le recours aux urgences dans notre étude était prédominant en début de soirée, entraînant un engorgement de ces services. En effet, les patients préfèreraient pour des problèmes de santé non véritablement urgents, recourir aux structures de soins après avoir quitté leur lieu de travail [17]. Ce choix de consulter les SU en dehors des heures d’activité des cabinets médicaux a été rapporté par plusieurs auteurs [15,18]. Cette situation serait liée très probablement à l’inadéquation pour la population des horaires de fonctionnement des structures de première ligne.
Notre étude a mis en évidence que le recours aux urgences était largement justifié par des problèmes de santé intercurrents sans gravité, alors qu’une douleur aiguë ou une blessure était assez peu rapportée. L’engorgement des SU dû à des consultations pour une raison de santé non urgente a été aussi relevé dans plusieurs études [14-16] et constitue une réelle préoccupation. Au Koweït, Shah et al. [13] rapportent que 61 % des patients consultaient les SU pour un motif non urgent, alors que ce taux atteignait 70 % en Arabie saoudite [14] et près de 90 % en Jordanie [19].
D’après l’étude effectuée par Gentile [17], une large proportion des personnes interrogées (35,4 %) a affirmé qu’il était plus facile et commode de venir directement aux urgences, tandis que 23,1 % ont déclaré que leur médecin traitant était indisponible. Le patient, par sa connaissance de l’offre de soins, choisit le SU pour la présence du plateau technique et sait qu’en dépit du temps d’attente, les SU demeurent en termes d’efficacité le meilleur compromis pour les usagers des urgences [7,12,15].
Enfin, pour un certain nombre de patients (19 %), la recherche de solutions avant le recours au SU s’est avérée inefficace [16]. Les patients préfèreraient aussi recourir à l’hôpital plutôt qu’à une autre structure de soins [13,15]. En effet, la médecine ambulatoire n’est pas perçue par les consultants des urgences comme étant capable de répondre à une prise en charge rapide et efficace selon plusieurs études [20-22] en raison, d’une part, de l’indisponibilité des médecins de ville et d’autre part, des délais importants pour l’obtention d’un rendez-vous de consultation. Une étude américaine confirme que le recours inapproprié aux urgences était plus fréquent chez les patients considérant que leur système de soins ambulatoires ne peut répondre à leurs attentes [23]. Nos résultats concordent aussi avec ceux observés chez les patients recourant en urgence à la médecine de première ligne dans la région française des Pays de la Loire, dans lesquels les affections aiguës représentent 87 % des motifs de consultation[18], alors que les problèmes traumatiques n’expliquent que 12 % des recours. Tandis que dans les SU hospitaliers, les motifs de recours répertoriés par les médecins se répartissent à part égale entre les problèmes traumatiques et somatiques.
Cette situation est répandue aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement ; elle serait due à la défaillance de la médecine de première ligne dans les secteurs public et privé, et la médecine d’urgence comblerait les lacunes de la médecine de première ligne [21,22]. En effet, une enquête réalisée dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur en France confirme que dans la majorité des cas, les motifs de consultation auraient pu être gérés dans le circuit ambulatoire [18]. Par ailleurs, selon une étude réaliséee dans 30 centres de soins de santé primaires du district d’Abha dans la région d’Asir (Arabie saoudite), 40,4 % des médecins ne considéraient pas la majorité des cas comme de véritables urgences [24].
Par ailleurs, la transition épidémiologique et démographique que connaissent la Tunisie ainsi que plusieurs pays en développement [19,25] depuis ces dernières décennies risque d’aggraver le problème de l’engorgement des SU en raison d’une augmentation du recours aux urgences par les patients âgés, souvent porteurs de maladies chroniques, nécessitant des hospitalisations. Ceci est d’autant plus probable que dans la majorité des pays développés, la proportion des personnes âgées fréquentant les SU augmente d’une manière plus importante que leur évolution démographique [26].
Plusieurs études ont rapporté des actions menées pour tenter de remédier à cet engorgement ; certaines ont été jugées efficaces, d’autres moins [20]. Parmi les initiatives qui ont montré une réelle efficacité en termes de réduction du délai d’attente, le développement des soins primaires semble être une solution efficace pour réduire la fréquentation des SU pour motif non urgent [27-30]. En effet, plusieurs études ont rapporté la diminution de la fréquentation des SU par les patients régulièrement suivis par leur médecin traitant [29]. Pour y parvenir, il est primordial de promouvoir la formation médicale continue des médecins de première ligne. La sensibilisation des patients à une meilleure compréhension de leur maladie et à l’urgence (par exemple, définir les critères d’exacerbation d’une pathologie chronique motivant une consultation urgente, développer la culture médicale du patient en abordant des thèmes d’urgence), ainsi qu’à une observance thérapeutique et aux bénéfices d’un suivi médical régulier pourraient contribuer à réduire le recours aux urgences pour des motifs non urgents. En outre, la délégation de certaines tâches (éducation, prévention, conseils, certaines prescriptions) au personnel paramédical pourrait avoir un impact sur la réduction de l’engorgement des SU [26].
Le tri aux urgences constitue aussi une des solutions intéressantes mises en place dans plusieurs pays développés [29], mais il fait encore défaut dans plusieurs pays de la Région de la Méditerranée orientale [31]. Une étude réalisée à Bahreïn a mis en évidence que le tri effectué par des médecins a permis d’orienter plus de la moitié des patients (54,4 %) qui consultaient les SU vers une consultation externe ou leur domicile [28]. La plupart des études s’accordent pour affirmer que si le tri est effectué par un médecin, une réduction à la fois du délai d’attente et du nombre de patients partis sans être vus peut être obtenue [31]. D’autres recommandent la « seniorisation » des urgences qui aurait un impact positif sur la diminution des prescriptions d’examens complémentaires et permettrait une meilleure orientation du patient [32]. Dans cette optique, certains pays tels que la Tunisie et le Sultanat d’Oman ont fait le choix depuis la dernière décennie de faire de la médecine d’urgence une spécialité médicale, ce qui permettrait une amélioration de la qualité des soins dans les SU [31,33]. Le renforcement des effectifs médicaux et paramédicaux s’impose durant les plages horaires où l’afflux aux urgences est le plus élevé, en l’occurrence le soir [34].
La création de la voie express ou fast track qui permet d’examiner les patients les moins graves en 30 minutes, leur permettant ainsi de regagner rapidement leur domicile, a un double avantage : le désencombrement rapide de la salle d’attente et un gain de temps pour les patients les plus gravement atteints [35]. Cependant, selon Nash K., cette solution risquerait d’augmenter la fréquentation des urgences [36].
Les études menées actuellement sur l’encombrement des urgences suggèrent de façon claire que le détournement du flux d’entrée pour les patients non urgents ne résout que partiellement le problème. En fait, le problème réside plutôt dans le débit de sortie, notamment dans l’incapacité du système hospitalier à transférer les patients des urgences vers les services d’hospitalisation [20].
Par ailleurs, la mise en place d’un dossier médical informatique unique pour chaque patient, accessible dans tous les services où passera le malade, a fait la preuve d’une certaine efficacité dans la réduction de l’engorgement des urgences [37].
D’autres solutions ont été testées, telles que les maisons médicales de garde ou les walk-in centers. L’efficacité de ces centres de conseil rapide et de traitement, ouverts 24 h/24 et qui regroupent infirmières et/ou médecins ne fait pas l’unanimité [38]. En France, l’impact des maisons médicales de garde est difficile à évaluer. Le temps d’attente aux urgences diminue pour les patients qui présentent des pathologies peu graves (CCMU 1 et 2), mais seulement lorsqu’une organisation précise et intégrée dans le fonctionnement des urgences a été mise au point [39].
Conclusion
Si certaines pratiques semblent désengorger les services d’urgence, les solutions consisteraient plutôt à mettre en place simultanément plusieurs bonnes pratiques dans le cadre d’une démarche qualité, et à créer une meilleure complémentarité entre les services d’urgence et les structures de première ligne publiques et privées.
Une réorganisation doit être discutée avec les divers partenaires du système de santé en tenant compte de la demande et des besoins de la population, mais également en intégrant la rationalisation du fonctionnement et la maîtrise des coûts, et en valorisant la qualité de la formation des futurs praticiens ambulatoires.
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