Congé maternité et vécu des mères qui travaillent au Liban

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N. Saadé,1 B. Barbour 1 et P. Salameh 1

الخبرات المتعلقة بإجازات الأمومة للوالدات العاملات في لبنان

نينا سعاده، برناديت بربور، باسكال سلامة

الخلاصة: أجرت الباحثات دراسة عَرْضية على 802 والدةً لبنانية لتقييم أثر سرعة عودتهن إلى العمل على صحتهن وصحة أطفالهن. كما قيَّمت الباحثات ممارسات الإرضاع من الثدي. وقد اعتُبرَتْ مدة إجازة الأمومة غير كافية في %72.8 من النساء. وأدت سرعة عودة الوالدات إلى العمل إلى مشاكل بدنية ونفسية حسب نوع العمل. وبلغ متوسط مدة الإرضاع من الثدي 4.7 شهراً بينما كان متوسط المدة المرغوبة 10.9 شهراً. واعتمد الإرضاع من الثدي على طول إجازة الأمومة، وعلى إمكانية الحصول على فتـرات الراحة للإرضاع، وعلى وجود دُور حضانة في مواقع العمل. وخلصت الدراسة إلى أن هناك ضرورة ملحّة للقيام بتدخلات عاجلة من أجل إطالة مدة إجازة الأمومة وتعزيز ممارسة الإرضاع من الثدي بين النساء العاملات.

RÉSUMÉ Une étude transversale a été menée auprès de 802 mères libanaises, afin d’évaluer l’effet du retour rapide au travail sur leur santé et celle de leur enfant. Les pratiques d’allaitement maternel ont aussi été évaluées. La durée du congé maternité est considérée comme insuffisante pour 72,8 % des femmes. Le retour rapide de la mère au travail provoquerait plusieurs problèmes physiques et psychiques, selon le secteur de travail. Le temps moyen de l’allaitement est de 4,7 mois et la moyenne de l’allaitement souhaité va jusqu’à 10,9 mois. L’allaitement dépend de la durée du congé de maternité, de la possibilité de pauses d’allaitement et de la présence de garderies sur le lieu du travail. Des interventions urgentes sont nécessaires pour prolonger la durée du congé de maternité et promouvoir l’allaitement chez les femmes qui travaillent.

Maternity leave and experience of working mothers in Lebanon

ABSTRACT We conducted a cross-sectional study of 802 Lebanese mothers to evaluate the effect of rapid return to work on their health and that of their child. Breastfeeding practices were also assessed. The duration of maternity leave was insufficient for 72.8% of the women. Rapid return to work could cause physical and psychological problems depending on the type of work. The average length of breastfeeding was 4.7 months and while the average desired length was 10.9 months. Breastfeeding depended on the duration of the maternity leave, the possibility of breaks for breastfeeding and the presence of nurseries at work. Urgent interventions are necessary to prolong maternity leave and promote breastfeeding among working women.

1Université Libanaise, Faculté de Santé publique, Section II, Fanar, Beyrouth (Liban) (Correspondance à adresser à P. Salameh : This email address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it.).Reçu : 09/11/09; accepté : 23/12/09
EMHJ, 2010, 16(9):994-1002


Introduction

Depuis quelques décennies, les femmes travaillent et veulent de plus en plus concilier leur maternité et leur vie sociale, voire professionnelle. Après l’accouchement, cette conciliation devient plus difficile si elles doivent reprendre leur vie professionnelle alors que le bébé a encore besoin de leur présence pendant de longues heures. Par rapport à la mère qui travaille, les changements physiques et psychiques qui ont lieu en post-partum peuvent se compliquer et entraîner des situations graves, en particulier si elle est fatiguée ; sa santé mentale en est affectée. Il a ainsi été démontré que le retour rapide au travail augmente le risque de symptômes dépressifs [1,2].

Les mères qui travaillent sont ainsi amenées à confier la garde de leur enfant assez tôt, selon la durée du congé maternité. Souvent, les bébés qui arrivent en crèche ou chez l’assistante maternelle n’ont pas atteint la maturité requise pour affronter la séparation précoce de la mère [3]. En fait, la diffusion des connaissances sur le développement psychologique du petit enfant a révélé que la période d’éveil et de découverte qui se situe de la naissance à l’âge de trois ans est capitale [4] ; ainsi, la carence maternelle sévère, précoce (avant deux ans) et prolongée, pourrait être psychopathogène ou génératrice d’inaffectivité [3].

Des études ont même démontré qu’un congé maternité réduit augmenterait le risque de mortalité périnatale, néonatale, post-néonatale et infantile [1,5], ce qui pourrait s’expliquer en partie par le fait que le retour rapide au travail contribue à diminuer ou arrêter l’allaitement de façon notable [6]. Ceci aurait des conséquences néfastes pour le bébé, puisque l’allaitement protège contre les infections aiguës, a des effets bénéfiques sur la santé à long terme et assure une meilleure relation psychologique avec la mère ainsi que des économies au niveau des soins de santé [7,8]. L’allaitement maternel a aussi des effets bénéfiques sur la santé de la mère, en réduisant le risque ultérieur de diabète de type 2, de cancer du sein et de l’ovaire. L’arrêt précoce ou l’absence de l’allaitement est aussi associé avec un risque accru de dépression en post-partum [8].

D’autre part, du fait de l’insuffisance des garanties qui lui sont offertes en matière d’emploi dans quelques pays, la mère qui travaille s’expose aussi à plusieurs risques économiques, tels que la perte de son emploi et la suspension de ses gains [9]. Les tendances mondiales actuelles tendent à répondre aux besoins des familles ayant des enfants en bas âge ; un des plus importants besoins dans ce domaine est le congé maternité [10]. L’Organisation internationale du travail (OIT) a adopté en 1919 le premier instrument mondial destiné à protéger les travailleuses avant et après la naissance d’un enfant : la convention sur la protection de la maternité. Cette norme a été révisée en 1952 et en 2000, et prévoit un congé d’une durée minimum de quatorze semaines. Pour les pays qui accordent des prestations en espèces dans le cadre de la sécurité sociale, la convention recommande que la rémunération ne soit pas inférieure à deux tiers du revenu antérieur et que les prestations médicales soient intégralement assurées [9,11]. De plus, cette convention interdit le travail de nuit, les heures supplémentaires et les tâches préjudiciables à la santé de la mère et de l’enfant. Ces mesures visent à limiter la fatigue, à réduire la tension physique et le stress ainsi qu’à épargner aux femmes les tâches dangereuses et insalubres [9,11]. En outre, selon la nouvelle convention de l’OIT (Article 10), les travailleuses liées à leur employeur par un contrat de travail ont le droit de prendre des pauses d’allaitement quotidiennes pendant leurs heures de travail [11]. Ces pauses d’allaitement visent à permettre à la mère d’allaiter son enfant et/ou de tirer son lait pendant les heures de travail [12]. La travailleuse dont la durée de travail effective est d’au moins sept heures et demie par jour a droit à deux pauses d’une demi-heure par jour. Les travailleuses qui effectuent au moins quatre heures de travail par jour ont droit à une pause d’une demi-heure [12].

Les pays qui garantissent un congé de maternité généreux sont nombreux : par exemple, le Danemark, la Norvège et la Suède accordent des congés rémunérés de longue durée dont une partie est réservée à la mère, l’autre pouvant être prise par l’un ou l’autre parent [5]. Ainsi, les gouvernements de plusieurs pays envisagent d’augmenter la durée du congé maternité et d’introduire des congés supplémentaires, comme le congé de paternité, le congé parental, le congé familial, etc. [5,9].

Au Liban, en 2005, une étude réalisée par l’Administration centrale de la Statistique (ACS), sous le patronage de l’UNICEF, a montré que 20,57 % des femmes libanaises sont employées dans les différents secteurs de travail au Liban, et que 43,74 % cherchent du travail pour pallier au revenu familial insuffisant (92,44 %) [13]. On peut donc s’attendre au Liban, dans les années à venir, à des pourcentages progressifs de femmes sur le marché du travail. Cependant, la loi libanaise prévoit un congé maternité de sept semaines dans le secteur privé et de 60 jours dans le secteur public, englobant la période qui précède et qui suit l’accouchement ; l’allaitement n’y est pas mentionné [14]. Dans un article précédent, nous avons montré que le congé maternité et les droits de la mère qui travaille ne sont pas respectés au Liban, surtout dans le secteur privé : 60 % des femmes prennent un congé maternité de durée inférieure à celle préconisée par la loi, 20 % des femmes exercent un travail de nuit que ce soit durant la grossesse ou après le retour du congé maternité, et certaines sont même licenciées de leur travail dès l’annonce de la grossesse (2 %) [15].

Méthodes

Type et objectif de l’étude

Il s’agit d’une étude transversale auprès des mères libanaises, visant à évaluer les perceptions des femmes concernant l’effet du retour au travail sur leur santé et celle de leur enfant au moment de leur dernier accouchement (expérience passée).

Population de l’étude

La population cible est constituée par les femmes mariées ayant vécu une fois ou plus la période de grossesse et la période qui suit l’accouchement, au moment de l’exercice d’un travail professionnel dans une institution donnée.

Méthodes

La liste des hôpitaux a été obtenue auprès du ministère de la Santé : la division des hôpitaux a été faite selon les cinq mohafazat. Les hôpitaux participant à l’étude ont été choisis par tirage au sort systématique à partir de la liste des hôpitaux, la décision ayant été prise de prendre le 1/6 des hôpitaux de chaque mohafazah, ce qui correspond à 5 hôpitaux de Beyrouth administratif, 8 hôpitaux du Mont-Liban, 4 hôpitaux de la Bekaa, 4 hôpitaux du Nord et 4 du Sud-Liban.

L’enquête s’est déroulée de début juillet à fin octobre 2007. Après contact des responsables présents dans ces hôpitaux, des rendez-vous ont été pris pour les rencontrer et leur expliquer les objectifs de l’étude, ses modalités et son déroulement. Les questionnaires ont été distribués dans les services de maternité et de pédiatrie dans chacun des hôpitaux choisis. Les femmes sont présentes dans ces services au moins pour un jour complet et peuvent remplir le questionnaire calmement. Dans chaque service, une personne désignée par le ou la responsable de l’hôpital (sage-femme, infirmière ou secrétaire) a pris en charge le questionnaire. Les directives données à ces personnes étaient que les femmes devaient le remplir seules, après consentement oral. Puisqu’il s’agissait d’une étude descriptive observationnelle, aucune autorisation éthique n’a été jugée nécessaire.  

Cent questionnaires ont été distribués dans chacun des hôpitaux de Beyrouth et du Mont-Liban, sauf pour la région du Chouf et les districts de la Bekaa, du Nord et du Sud. Le nombre final de questionnaires distribués a été de 1350.

Outil utilisé

Les données utilisées proviennent d’un questionnaire standardisé, rédigé en arabe, formé de quarante-cinq questions à éventail : fermées, ouvertes, semi-ouvertes et pré-codées semi-ouvertes.

Les variables dépendantes sont la prise du congé maternité, la durée du congé maternité, les causes d’insuffisance de la durée du congé maternité, la récupération de l’état de santé de la mère, la cause d’insatisfaction de la garde du bébé, l’allaitement du bébé, la durée et le rythme de l’allaitement, la durée souhaitée de l’allaitement, les changements psychosomatiques du bébé et les accidents du bébé. Les variables indépendantes sont l’âge, l’adresse, le nombre d’enfants, le niveau d’études, le lieu de travail, la région de travail, le nombre d’années de travail, la catégorie professionnelle et l’horaire de travail. Le bien-être physique a été défini comme « la sensation d’être totalement rétablie après l’accouchement du point de vue physique », alors que le bien-être mental a été défini comme « la sensation d’être totalement rétablie après l’accouchement du point de vue psychique ».

Calcul de la taille de l’échantillon

Puisque nous n’avons pas de connaissance préalable concernant le congé maternel chez les femmes libanaises, nous avons supposé que la majorité était insatisfaite de la durée de ce congé. Ainsi, nous avons estimé à 75 % le pourcentage d’insatisfaction ; si la valeur acceptée la plus éloignée serait à ± 3 % de ce pourcentage, un minimum de 800 femmes était nécessaire pour avoir un niveau de confiance à 95 %.

Analyse statistique

Le logiciel de statistique de cette étude SPSS 12.0 a été utilisé pour la saisie des données et les analyses statistiques. Pour étudier les relations entre différentes variables, on a appliqué le test de χ2 avec une erreur de premier degré de 5 %. De plus, une analyse multivariée a été effectuée, en appliquant une régression logistique de la variable dépendante prenant les variables indépendantes comme tierces variables : relation entre la durée du congé maternité pris et la fatigue, la récupération du bien-être physique, la récupération du bien-être mental, le lieu de travail, le niveau d’études, le nombre d’enfants, l’horaire de travail, l’allaitement maternel et le sentiment d’être maltraitée par son employeur.

Résultats

Sur 1350 questionnaires mis à la disposition des personnes responsables de l’étude dans les hôpitaux, huit cent deux femmes (52,4 %) ont été interrogées. La durée du congé maternité pris par les femmes de notre échantillon est jugée insuffisante par la plupart d’entre elles (72,8 %) ; 21,7 % la trouvent moyennement suffisante, contre 3,2 % seulement qui disent qu’elle est suffisante. Dans la Figure 1, nous rapportons les difficultés majeures rencontrées par les femmes dues à la courte durée du congé maternité : ce sont pour 66,6 % la séparation avec le bébé, 57,9 % trouvent la période d’allaitement insuffisante, 42,2 % et 43,1 % de ces femmes parce qu’elles n’avaient pas encore récupéré leur bien-être physique et mental ; ceci explique que 43,4 % soient encore fatiguées au retour au travail. Dans 41 % des cas, la maman n’a pas eu un temps suffisant pour assurer une bonne prise en charge d’elle-même et du bébé, et dans 37,7 % des cas, le bébé a encore des réveils fréquents pendant la nuit.

Figure 1 Causes de l’insuffisance du congé maternité

En réponse à la question concernant le temps qu’ont mis les mères à récupérer leur bien-être physique, 66,9 % des femmes disent qu’elles l’ont récupéré de trois à six mois après l’accouchement et 29,3 % après un à deux mois. Pour le bien-être mental, 50 % des femmes l’ont récupéré huit mois après l’accouchement.

La garde du bébé, en l’absence de sa mère, est surtout assurée par sa grand-mère maternelle (42,9 %) ; suit en deuxième la grand-mère paternelle (27,6 %). La garderie constitue le troisième choix, avec un pourcentage de 25,1 %. À noter que 1,2 % des femmes de notre échantillon ont dû avoir recours à leur voisine pour garder le bébé pendant leurs heures de travail. Pour la satisfaction des mères par rapport à la garde de leurs bébés, 346 (43,1 %) sont totalement satisfaites, 274 (34,2 %) sont moyennement satisfaites et 161 (20,1 %) sont insatisfaites. Pour celles qui étaient insatisfaites (20,1 %), les causes sont diversifiées (Figure 2) : le manque d’information en cas d’accident ou de problème arrivant au bébé est le plus fréquent (43,4 %), puis le manque d’information sur le comportement du bébé en général (32,6 %). De plus, le fait que cette personne n’agit pas avec le bébé comme la maman le veut est de 27,8 %, surtout du point de vue alimentaire (24,8 %). Parmi les maladies des bébés qui sont en garde en dehors de la maison, les maladies du système respiratoire (28 %) sont les plus fréquentes, avec celles du système digestif (17 %).

Figure 2 Causes de l’insatisfaction de la mère à l’égard de la garde des bébés

Pour la décision d’allaiter le bébé, on a trouvé que 85,4 % des femmes de cette étude ont décidé d’allaiter leur bébé. Celles qui ne l’ont pas fait (14,5 %) avaient surtout un problème de santé (39,6 %) ou un horaire de travail inadéquat (36,2 %). Au retour au travail après le congé maternité, 50,4 % des femmes ont continué l’allaitement : à raison de deux fois pendant le jour (70,8 %) et deux fois pendant la nuit (68,6 %), ceci pour une durée de deux et quatre mois (71,6 %). De plus, 46,3 % des mères n’ont pas continué l’allaitement. La cause la plus citée est l’horaire de travail qui est incompatible (63,4 %) ; 44 % des femmes écrivent que l’allaitement est une charge difficile à concilier avec le travail. Si elles ne travaillaient pas, 54,3 % des femmes auraient continué à allaiter de sept à douze mois, alors que 31 % l’auraient fait pour trois à six mois.

Dans le tableau 1, l’augmentation des pleurs (35,7 %) et le rythme veille-sommeil perturbé (35,4 %) sont les deux changements psychosomatiques des bébés pendant la période de garde les plus cités dans notre étude. Suit en deuxième lieu la diminution du sourire (22,3 %) et le refus de l’alimentation (19,1 %), avec l’état général du bébé qui est perturbé (20 %). De plus, 25,8 % des mères déclarent que leurs enfants ont eu divers accidents durant la période de garde, que ce soit à la garderie ou à la maison. Les blessures et les brûlures sont les accidents les plus fréquents (56 %). Les chutes aussi sont à considérer (51,2 %).

Dans le tableau 2, on retrouve une forte relation entre la durée insuffisante du congé maternité et les causes de non-satisfaction de cette durée décrites par les mères (p < 0,001) : par ordre d’importance, nous avons la séparation avec le bébé, l’allaitement, la fatigue, le bien-être physique, le bien-être mental, la bonne prise en charge et l’anémie. Les mères qui ont considéré que la durée du congé maternité est totalement suffisante ont récupéré leur état de santé physique entre un et deux mois (25 %) et leur état de santé mental à 10 mois ou plus (10,5 %) (p < 0,001). Celles qui ont considéré la durée du congé maternité moyennement suffisante ont récupéré leur état de santé physique vers deux mois (50 %) et leur état de santé mental et social entre six et sept mois (50,7 %) (p < 0,001). Celles qui ont considéré la durée de ce congé insuffisante ont récupéré leur état de santé physique entre sept et neuf mois (78,7 %) et leur état de santé mental et social entre huit et neuf mois (78,9 %) (p < 0,001).

Dans le tableau 3, la relation entre l’âge effectif de l’allaitement est non significative pour le niveau d’études, ni pour le lieu de travail, ni pour l’horaire de travail par jour. La relation avec les catégories professionnelles est significative : ce sont surtout les ouvrières qui allaitent de deux à quatre mois (96,2 %), le personnel paramédical pour la période de cinq à huit mois (22,6 %), et ce sont les cadres et les enseignantes qui ont le pourcentage le plus élevé pour la période de neuf à douze mois (15,5 %). La majorité des femmes qui ont allaité entre deux et quatre mois auraient aimé continuer jusqu’à treize à dix-huit mois (86,2 %) (p < 0,001). La majorité des femmes qui ont allaité entre cinq à huit mois auraient aimé continuer jusqu’à sept à douze mois (24,1 %) (p < 0,001). Celles qui ont allaité entre neuf et douze mois auraient aimé continuer jusqu’à plus de dix-huit mois (20,8 %) (p < 0,001). La comparaison des femmes primipares avec les femmes multipares n’a pas donné de résultats significatifs pour les facteurs étudiés (p > 0,05 pour toutes les comparaisons).

Dans le tableau 4, nous rapportons les résultats de l’analyse multivariée. La récupération du bien-être physique dépend de la durée du congé maternité seulement, alors que celle du bien-être mental dépend de la durée du congé maternité, du niveau d’études et du travail dans les cliniques et les magasins. L’insuffisance de l’allaitement maternel dépend uniquement de la durée du congé maternité. Le sentiment de séparation du bébé dépend du congé maternité et du niveau d’études.

Discussion

Le congé maternité est insuffisant pour 72,8 % des femmes de cette étude, et 21,7 % le trouvent moyennement suffisant. De l’avis de 97 % des femmes de l’étude, il y a nécessité urgente d’augmenter la durée du congé maternité. Une étude faite à Minneapolis a montré que la durée de 11,1 semaines est considérée comme courte par les femmes de l’étude, la période de 8 mois est idéale pour elles [16]. Plusieurs études rapportent des causes de l’insuffisance de la durée du congé maternité similaires à celles rapportées dans notre étude [10,16-20] : fatigue (43,4 %), non-récupération du bien-être physique (43,1 %), et du bien-être mental (42,2 %), et manque de bonne prise en charge d’elle-même et du bébé (41 %).

Les raisons citées par les femmes de notre étude ont été démontrées par d’autres études indépendantes. Une étude au Minnesota a démontré que la durée du congé maternité a un effet complexe sur la santé maternelle à sept mois de post-partum et que les femmes qui ont pris six mois de congé et plus ont un meilleur état de santé mentale à neuf et douze mois de post-partum. Les femmes signalent qu’elles dorment mieux, elles sont plus sociables, ont moins de difficultés à assurer la charge de leur enfant et atteignent de hauts niveaux de satisfaction dans leur travail [21]. Ceci est comparable avec une étude faite à Minneapolis montrant que l’effet des problèmes potentiels du post-partum sur l’état de bien-être des femmes qui travaillent est en relation avec la durée de leur congé maternité : Gjerdingen et al. rapportent que recouvrir un état de santé équilibré après l’accouchement demande plus que les six semaines de congé données traditionnellement aux femmes aux États-Unis. Les complications de l’allaitement, les hémorroïdes, les symptômes respiratoires et la fatigue persistent jusqu’au moins trois mois après l’accouchement. La constipation et l’inconfort vaginal continuent jusqu’à neuf mois de post-partum. Les changements de la santé mentale durent au moins vingt-quatre semaines [22]. De même, la femme qui prend plus de douze semaines de congé maternité ressent un effet positif sur sa vitalité physique, alors que celle qui prend plus de quinze semaines le ressent sur sa vitalité mentale ; pour celle qui prend plus de vingt semaines, il y a un effet positif sur son rôle [22]. En France et en Italie, une étude comparative des deux pays a trouvé que 80 % des femmes retournent au travail un an après la naissance sans aucun problème de santé ni physique ni mental [23]. Une autre étude faite à ce sujet au Wisconsin montre que le long congé maternité contribue en grande partie à l’équilibre personnel et marital [17].

Au Liban, la garde des bébés est surtout assurée par les grands-mères, ce qui permet aux femmes de continuer plus facilement à travailler : 42,9 % des bébés de cette étude sont gardés par la grand-mère maternelle et 27,6 % par la grand-mère paternelle, alors qu’au Japon et aux États-Unis par exemple, les grands- parents sont une ressource secondaire après les centres de protection [10]. Ceci est un avantage pour les bébés libanais, puisqu’il vaut mieux garder le bébé en famille que l’envoyer à la garderie [24]. Le fait qu’il y ait des bébés gardés avec la voisine, même en faible pourcentage (1,2 %), constituerait cependant un problème. Ainsi 25,1 % des bébés sont mis à la garderie. Une étude aux États-Unis a montré que 26,8 % des enfants sont soumis à la protection non parentale, avec 31,8 % en Suède mis dans les maisons de protection familiale et centres publics [10].

L’insatisfaction à l’égard de la garde du bébé concerne surtout la garderie : manque de pédagogie, manque de propreté, alimentation inadaptée et surtout, contagion des maladies et trajet à faire, de bon matin, même par mauvais temps. Les maladies du système respiratoire étaient les plus fréquemment citées dans notre étude ; elles sont les plus fréquentes chez les enfants de zéro à sept ans à cause de leur vulnérabilité aux agents bactériens et viraux. Une accréditation des garderies au Liban selon des standards de qualité est donc recommandée.

Concernant la durée de l’allaitement, nos résultats sont comparables à ceux d’une étude descriptive qui a été conduite en Turquie auprès de trois cent une mères qui travaillaient, dont 77 % allaitaient leur enfant quatre mois et plus. Cependant, les conditions de l’allaitement au travail, le congé maternité, les habitudes de vie de la mère (tabac, etc.) et le tirage du lait sont des facteurs indépendants influençant la durée de l’allaitement maternel par ordre décroissant [25]. Le retour précoce au travail a un effet plus négatif sur la durée de l’allaitement que le nombre d’heures de travail par jour. Les femmes qui ont un haut niveau d’éducation débutent plus tard le substitut du lait maternel. Celles qui ont un emploi indépendant avec un horaire flexible et celles qui ont un congé maternel plus long, un taux élevé d’emploi à temps partiel et un taux élevé d’allaitement sur le lieu du travail allaitent leurs enfants pour une période plus longue que les autres groupes. De plus, la reprise de leur rôle social dans leur travail et leur environnement diminue l’allaitement maternel [25].

Le travail de la mère n’a pas d’influence sur la décision initiale de l’allaitement, car celles qui n’ont pas allaité l’ont fait surtout pour un problème de santé (39,6 %). Celles qui ont arrêté d’allaiter après le retour au travail l’ont fait à cause de l’horaire de travail qui est incompatible avec l’allaitement (ouvrière, employée et personnel paramédical). Ceci est comparable à une étude faite en Turquie [26] où le travail n’a pas influencé la décision de l’allaitement, mais la durée de l’allaitement était courte à cause du retour au travail après huit semaines. Ainsi, pour faciliter l’allaitement après le retour au travail, nous recommandons des changements d’horaires de travail, des garderies sur le lieu de travail et des pauses allaitement [27], similaires à celles qui existent dans les pays développés : en Suède, par exemple, le secteur d’emploi des femmes est caractérisé par la flexibilité et les dispositions du temps partiel (46 %) qui facilitent l’éducation des enfants. Au Japon, la loi exige que les sociétés permettent aux employées ayant des enfants de moins d’un an de choisir des heures de travail courtes, des heures flexibles ou de choisir le congé de la protection de l’enfant [10]. Les dispositions relatives à la maternité dans la loi du travail du Liban doivent être révisées. Les municipalités pourraient prendre la relève de l’État dans ce domaine, comme elles ont réussi à le faire dans d’autres pays, tels que la Suède [10].

Concernant la validité de notre étude, plusieurs points sont à noter : un biais de sélection est possible, puisque l’échantillon n’est pas de type aléatoire. De plus, un biais d’information est possible puisque le bien-être physique et le bien-être mental n’ont pas été évalués par des instruments de mesure appropriés mais par des questions d’ordre subjectif. Il n’y a pas non plus de distinction entre les notions d’allaitement maternel et d’allaitement maternel exclusif ; les résultats pourraient donc indiquer une représentation excessive du pourcentage de nourrissons ayant bénéficié du lait maternel. Cependant, nous n’avons pas de raison de croire que l’utilisation d’autres méthodes pour mener cette étude donnerait des résultats essentiellement différents.

Conclusion

Le congé maternité au Liban est insuffisant de l’avis de la majorité des femmes interrogées. Le retour rapide de la mère au travail provoquerait plusieurs problèmes physiques et mentaux, selon le secteur de travail. Le temps moyen de l’allaitement dans la population étudiée est de 4,7 mois et la moyenne de l’allaitement souhaité va jusqu’à 10,9 mois. L’allaitement dépend de la durée du congé maternité, de l’existence des pauses d’allaitement et de la présence de garderies sur le lieu de travail.

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