Comparaison de la ration calcique pendant et en dehors du mois de ramadan dans la région de Marrakech (Maroc)

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G. Harifi,¹ M. Amine,² M. Ait Ouazar,¹ I. Ouilki,¹ A. Belkhou,¹ I. El Bouchti,¹ R. Younsi,¹ S. Ahid,³ R. Abouqal³ et S. El Hassani¹

مقارنة المتناول من الكالسيوم أثناء وقبل رمضان في مراكش، المغرب

غيثة حارفي، محمد أمين، مريم آيت وازار، إيمان ويلكي، أحلام بلخو، إيمان البوشتى، رشيد اليونسي، سمير أحيد، رضوان أبوقال، سلمى الحسني

الخلاصـة: درس الباحثون أثر صيام رمضان على المتناول من الكالسيوم لدى مجموعتين تـتألف من 500 شخص من مراكش، باستخدام استبيان فراديلون المكتوب بلغة عامية عربية. وأجرى الباحثون الاستقصاء على المجموعة الأولى قبل 5 شهور من رمضان، وعلى المجموعة الثانية أثناء شهر رمضان. ولم يلاحظ الباحثون أي اختلاف يُعتد به بين المجموعتين. إلا أن المقارنة بين فترتَيْ ما قبل رمضان وأثناء رمضان لكل مجموعة عمرية أوضحت زيادةً يُعتد بها إحصائياً في المتناول من الكالسيوم في الأشخاص الذين تزيد أعمارهم عن 60 عاماً. وقد كان استهلاك اللبن (الحليب) أثناء رمضان أعلى بمقدار يُعتد به إحصائياً، فيما لم يتغير استهلاك منتجات الحليب الأخرى. وعلى وجه الإجمال لم يلاحظ الباحثون اختلافاتٍ يُعتد بها في المتناول من الكالسيوم بين الفترات السابقة لشهر رمضان وفي رمضان.

RÉSUMÉ Nous avons étudié l’effet du jeûne de ramadan sur la ration calcique dans deux groupes de 500 sujets sains originaires de la région de Marrakech à l’aide de la version en arabe dialectal du questionnaire de Fardellone. Le premier groupe a été enquêté cinq mois avant ramadan et le deuxième au cours du mois de ramadan. Aucune différence significative n’a été observée entre les deux groupes. Toutefois, la comparaison entre les deux périodes (avant et pendant ramadan) pour chaque groupe d’âge montre une augmentation significative de l’apport calcique chez les sujets de plus de 60 ans. Pendant ramadan, la consommation de lait était significativement plus élevée alors que la consommation des autres produits laitiers ne variait pas. Globalement, il n’y a pas de différence significative entre la ration calcique durant le mois de ramadan et en dehors de cette période.

Comparison of the calcium intake during and before Ramadan in Marrakesh, Morocco

We studied the effect of Ramadan fasting on calcium intake in 2 groups of 500 healthy subjects from Marrakesh using the colloquial Arabic version of the Fardellone questionnaire. The first group was investigated 5 months before Ramadan and the second during Ramadan. No significant difference was observed between the 2 groups. However, comparison of the pre-Ramadan and Ramadan periods for each age group showed a significant increase in calcium intake in subjects over 60 years. During Ramadan, consumption of milk was significantly higher, while consumption of other dairy products was not different. Overall, no significant difference in calcium intake was noted between pre-Ramadan and Ramadan periods.

1Unité de Rhumatologie, CHU Mohammed VI, Marrakech (Maroc) (Correspondance à adresser à G. Harifi : This email address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it.)

2Département d’épidémiologie, Faculté de médecine et de pharmacie de Marrakech (Maroc).

3Laboratoire de Biostatistiques, Recherche clinique et d’Epidémiologie, (LBRCE), Faculté de médecine et de pharmacie de Rabat (Maroc).

Reçu : 06/09/08 ; accepté : 29/12/08

EMHJ, 2010, 16(4):414-419


Introduction

Durant le mois de ramadan (neuvième mois de l’année Hégire), les musulmans observent un jeûne diurne depuis le lever jusqu’au coucher du soleil. Le mode de vie durant ce mois sacré subit des changements importants qui intéressent notamment le sommeil [1], les activités et l’alimentation [2]. De nombreux travaux se sont intéressés aux modifications métaboliques qu’entraîne le jeûne sur l’organisme [3,4] et à l’influence du jeûne sur l’apport énergétique [5,6], mais peu d’études se sont penchées sur l’effet du ramadan sur la ration calcique.

La carence calcique constitue un vrai problème de santé publique vu l’implication du calcium dans les ostéopathies métaboliques. S’il est établi qu’un apport calcique adéquat est un facteur de protection contre l’ostéoporose [7], des travaux de plus en plus nombreux suggèrent qu’une ration calcique adéquate réduirait le risque d’obésité [8,9], d’hypertension artérielle [10] et de certains cancers [11,12]. Les principales sources de calcium sont le lait, les laitages et fromages (fromages à pâte cuite surtout) et certaines eaux minérales. Dans les pays musulmans, et particulièrement au Maroc, le ramadan est considéré com-me une période de forte consommation de produits laitiers. Ainsi, l’objectif de ce travail est d’évaluer l’impact du changement des habitudes alimentaires au cours du mois de ramadan sur la ration calcique par rapport à la période normale.

Méthodes

Il s’agit d’une enquête prospective menée dans la ville de Marrakech et sa région auprès de deux échantillons indépendants regroupant chacun 500  individus sains. L’échantillonnage était non aléatoire par quotas, proportionnel à l’âge. La répartition en tranches d’âge a été calquée sur la répartition de la population marocaine générale selon le dernier recensement de la population et de l’habitat de 2004 [13]. La méthode utilisée était l’interview en face-à-face, au domicile de l’interviewé, à partir d’un questionnaire préétabli. Le premier groupe a été enquêté cinq mois avant ramadan (durant les mois de mars et avril 2007) et le deuxième au cours du mois de ramadan (septembre-octobre) de l’année 2007. Les deux groupes ont été appariés sur l’âge et le sexe.

L’enquête a été réalisée à l’aide de la version en arabe dialectal du questionnaire de Fardellone [14] traduite par Bahiri et al. [15]. Cet autoquestionnaire fréquentiel d’évaluation de la ration calcique journalière évalue une fréquence hebdomadaire ; il prend en compte les variations alimentaires intra-individuelles et la consommation tout au long de la semaine. La teneur en calcium de chaque aliment a été établie au moyen des tables d’équivalence de Fardellone [14]. Les aliments ont été regroupés en cinq classes : apport de calcium sous forme de lait ; apport de calcium sous forme de laitages et fromages (yaourt, petit suisse, fromage blanc, fromage à pâte cuite, à pâte molle, etc.) ; apport de calcium sous forme de légumes, fruits, viandes et eaux minérales  (LFVE) ; apport de calcium sous forme de pains, semoules ou pâtes (PPS) et apport de calcium sous forme de chocolat.

Analyse statistique 

Les données ont été saisies et analysées à l’aide du logiciel SPSS 13. Les variables quantitatives ont été décrites par les moyennes et les écarts types, les variables qualitatives ont été décrites par les fréquences et les pourcentages. Le test t de Student pour échantillons indépendants a été utilisé pour la comparaison de deux moyennes, et le test non paramétrique de Mann-Whitney a été utilisé pour comparer deux distributions non gaussiennes. Les comparaisons de pourcentages ont utilisé le test du χ2 de Pearson. Le seuil de signification statistique a été fixé à 0,05.

Résultats

Description des échantillons

Au total, 1000 personnes ont participé à l’enquête. La moyenne d’âge dans les deux groupes est de 27,1 ans. Le sex ratio (hommes/femmes) est de 0,65. Le tableau 1 illustre la répartition des échantillons selon l’âge et le sexe.

Comparaison de la ration calcique entre la période normale et le mois de ramadan

La comparaison de la ration calcique globale entre les deux groupes (période normale et pendant le mois de ramadan) ne montre pas de différence significative (Tableau 2) . S’il existe une consommation significativement plus élevée de lait au mois de ramadan (p = 0,003), la consommation de laitages, de légumes, fruits, viandes et eaux ne varie pas entre les deux périodes. La consommation de pains, pâtes et semoules est très significativement plus basse durant le mois de ramadan (p < 0,001). La consommation de chocolat est significativement plus basse au mois de ramadan (p = 0,04).

La comparaison de la ration calcique entre la période normale et le mois de ramadan pour chaque tranche d’âge montre une augmentation significative de l’apport calcique chez les sujets âgés de plus de 60 ans (p < 0,001) (Tableau 3) , mais qui reste bien au dessous des recommandations pour cette tranche d’âge. La consommation de lait semble augmenter significativement pendant le mois de ramadan chez les sujets âgés de plus 15 ans (p = 0,05 et p < 0,001), tandis que la consommation de laitages ne varierait pas entre période normale et ramadan quel que soit l’âge. Le groupe des LFVE connaîtrait une consommation plus importante au mois de ramadan chez les individus âgés de plus 16 ans (p = 0,03 et p < 0,001). Les pains, les pâtes et les semoules semblent être consommés de façon plus importante en dehors du ramadan, sauf dans la tranche d’âge de plus de 60 ans où une consommation significativement plus importante est retrouvée durant le mois de ramadan. Quant au chocolat, sa consommation semble être plus élevée en dehors du ramadan dans la tranche d’âge 16-59 ans (p = 0,01).

La comparaison de la ration calcique pour chaque sexe au cours des deux périodes ne montre pas de différence significative chez les hommes (p = 0,10) et les femmes (p = 0,57) (Tableau  4) . Il semble néanmoins que chez les hommes, la ration calcique provenant du lait soit plus importante au mois de ramadan (p = 0,01). La consommation de pains, de pâtes et de semoules est significativement plus diminuée au mois de ramadan, aussi bien chez les femmes (p = 0, 002) que chez les hommes (p = 0,027). Chez les hommes, le chocolat est consommé de façon plus importante en dehors du ramadan.

Si l’on s’intéresse aux aliments les plus riches en calcium (en dehors du lait pur), on note qu’une différence statistiquement significative existe dans la consommation de viandes, de légumes et de fruits secs, avec une consommation plus élevée au mois de ramadan. La consommation de pommes de terre, de légumineuses, de sardines et de chocolat noir semble plus élevée en période normale (Tableau 5).

Discussion

La ration calcique n’est pas modifiée par le ramadan dans la population étudiée. Le mois de ramadan s’accompagne de certains changements dans les habitudes alimentaires. En effet, la fréquence des prises alimentaires est réduite et les repas deviennent exclusivement nocturnes. Les résultats publiés concernant les modifications de la consommation alimentaire au cours du ramadan sont contradictoires. L’effet sur la ration énergétique, qui a été le plus étudié, ne fait pas l’unanimité. Si certains auteurs ont signalé une nette augmentation de l’apport énergétique pendant le ramadan [5,16], d’autres ont noté qu’il y avait une augmentation de la ration protidique et lipidique pendant le ramadan tandis que la ration énergétique restait inchangée [17]. Les effets sur la ration calcique sont moins bien connus. Partant de l’hypothèse que la consommation de produits laitiers augmente durant ce mois, nous avons voulu comparer la ration calcique avant et pendant le ramadan. Dans notre étude, il n’y avait pas de différence significative entre les deux périodes.

Karaagaoglu et Yûcecan [18] ont étudié le comportement alimentaire et les dépenses énergétiques pendant trois jours consécutifs chez 750 adultes observant le jeûne pendant le ramadan. Ils ont observé que parmi tous les nutriments, le calcium a été le plus insuffisamment consommé et donc le plus affecté par les modifications du régime alimentaire. Chez Gharbi et al., qui ont mesuré et comparé les variations des apports nutritionnels pendant le ramadan et en dehors de cette période au sein d’un groupe de jeunes étudiants et d’un groupe de parents, l’effet du jeûne sur la ration calcique variait avec l’âge. Ainsi, il a été noté un accroissement significatif de l’apport calcique pendant le ramadan dans la tranche d’âge de 19 à 25 ans. En effet, dans cette enquête, l’apport calcique tendait à diminuer chez les parents et à augmenter chez les étudiants au cours du mois de ramadan [19]. Dans notre étude, la comparaison dans les différentes tranches d’âge a montré une différence significative entre la ration calcique dans les deux périodes chez les sujets âgés de plus de 60 ans. Les différences des modifications du comportement alimentaire au cours du ramadan pourraient être liées aux caractéristiques du régime alimentaire des populations étudiées. Une étude réalisée récemment chez les moines orthodoxes grecs durant la semaine du jeûne a montré que la ration calcique était plus basse par rapport à la période normale [20]. Mais il faut noter que le jeûne orthodoxe est très différent du jeûne musulman. Il s’agit en réalité d’une période de régime végétarien où les adeptes sont appelés à éviter l’huile d’olive, la viande, le poisson et les produits laitiers. Parmi tous les aliments, le lait représente la principale source de calcium. L’association entre ration calcique et consommation de lait est très fortement positive dans la plupart des études [21,22].

Dans notre enquête, la consommation de lait était significativement plus élevée au mois de ramadan. Cette augmentation a été surtout notée chez les sujets âgés de plus de 16 ans. Cet âge correspond généralement à l’âge de la puberté, à partir duquel le jeûne devient obligatoire selon la religion musulmane. Traditionnellement, une attention plus importante est accordée à l’alimentation de l’adulte qui jeûne pendant le ramadan. Certes, la plupart des études montrent que la consommation de lait diminue globalement avec l’âge, et que cette diminution commence à l’adolescence [21,23]. L’élévation de la consommation de lait au ramadan à partir de l’âge de 16 ans dans notre échantillon serait probablement la conséquence de l’intérêt particulier accordé à la santé de l’individu durant le mois du jeûne. Alors qu’on pourrait penser que la consommation de laitages est plus élevée au mois de ramadan, nos résultats ne semblent pas confirmer cette hypothèse. La ration calcique provenant des fromages, des yaourts et du petit lait ne change pas entre période normale et ramadan. Il est à signaler qu’au Maroc, les fromages les plus consommés sont les fromages mous à pâte non cuite. Or, à poids égal, plus un fromage est riche en eau, moins il comporte de calcium. Le mode de fabrication intervient également : une pâte cuite apporte plus de calcium qu’une pâte non cuite. Ainsi, le tableau d’équivalences calciques de Fardellone [14] montre que 30 g de fromage à pâte cuite contient deux fois plus de calcium que la même quantité de fromage à pâte molle. D’autre part, la moindre consommation des produits céréaliers au ramadan constatée dans notre travail a également été signalée chez Gharbi et al. [19]. L’analyse de la fréquence de consommation des aliments dans cette enquête tunisienne a mis en évidence une augmentation de la fréquence de consommation de produits d’origine animale (viandes, oeufs, etc.) et de fruits. Nous avons également noté une augmentation de la ration calcique provenant des viandes au cours du ramadan. Dans notre échantillon, la consommation de légumes et de viandes était plus élevée au mois de ramadan, alors qu’il a été noté l’effet inverse chez Afifi [24].

Si l’on considère les groupes d’aliments, la répartition de la consommation calcique au mois de ramadan montre que de 29 % du calcium alimentaire est apporté par les aliments non lactés (légumes, pains, viandes, eaux, etc.) contre 36 % pour le lait et 30 % pour les laitages et fromages. Globalement, malgré une ration calcique basse, les produits laitiers représentent une proportion importante (66 %) de la ration calcique. Dans une enquête marocaine d’évaluation de la ration calcique chez les femmes ménopausées  [25], l’apport global des produits laitiers était de 42,10 %, mais la proportion du lait dans la ration calcique globale ne dépassait pas 4,7 %. Une autre étude menée chez des femmes tunisiennes de plus de 45 ans avait noté que les produits laitiers apportaient 34,5 % de la ration calcique globale qui était par ailleurs basse [26].

Au mois de ramadan, il existe trois repas nocturnes, répartis de façon variable selon les régions : le repas de rupture de jeûne, la collation de la soirée et le souhour (repas pris juste avant le lever du soleil). Le repas de rupture du jeûne est généralement le plus consistant, couvrant à lui seul les deux tiers de la ration énergétique, les trois quarts de la ration protéique et lipidique et la moitié de la ration glucidique [19]. Nous n’avons pas évalué dans cette étude la répartition de l’apport calcique sur les repas.

Conclusion

Le changement des habitudes alimentaires au cours du mois de ramadan ne semble pas affecter la ration calcique dans notre population. D’autres études, avec des groupes plus larges et appariés, sont justifiées pour une meilleure appréciation de l’effet du ramadan sur l’apport calcique moyen chez les musulmans.

Références

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