I. Tazi,1 M. Rachid,1 A. Quessar, M. Harif1 et S. Benchekroun1
1Service d’Hématologie et Oncologie Pédiatrique, Hôpital 20 Août 1953, Casablanca (Maroc) (Correspondance à adresser à I. Tazi :
Reçu : 12/03/07 ; accepté : 06/08/07
EMHJ, 2009, 15(2): 475-479
Introduction
La première observation de pancréatite secondaire à un traitement par l’asparaginase (ASP) a été rapportée par Haskell et al en 1969 [1]. L’action toxique de l’ASP sur le pancréas a une fréquence d’apparition située entre 0 et 25 % des traitements [2].
Cette toxicité peut être à l’origine d’une hyperglycémie transitoire, d’une pancréatite oedémateuse ou d’une pancréatite aiguë qui met en jeu le pronostic vital [1,3,4]. Les lésions pancréatiques ne dépendent pas des doses d’ASP administrées [5], et peuvent se manifester jusqu’à 10 semaines après la fin du traitement [6].
Il peut être difficile d’apprécier la gravité de l’atteinte pancréatique car il n’y a pas de parallélisme anatomo-clinique et des formes latentes de pancréatite aiguë ont été observées [6,7].
Ces difficultés diagnostiques peuvent avoir des conséquences graves car elles risquent de faire arrêter un traitement efficace par ailleurs ou de prolonger un traitement toxique pour le pancréas. Nous rapportons une observation d’un enfant âgé de 16 ans ayant présenté une pancréatite aiguë à la suite d’une injection d’ASP.
Observation
Un enfant de 16 ans, sans antécédent particulier, a été traité par polychimiothérapie pour une leucémie aiguë lymphoblastique de type 1 phénotype B révélée deux mois avant son hospitalisation par un syndrome d’insuffisance médullaire complet associé à un syndrome tumoral sans syndrome infiltratif.
Le traitement a débuté en décembre 2004 par une cure d’induction associant la vincristine, la daunorubicine, la prednisolone et l’asparaginase avec injection intrarachidienne de méthotrexate.
Cinq jours après la première injection d’ASP, le patient rapporte des douleurs abdominales vagues et modérées de l’épigastre et de l’hypochondre gauche avec un examen clinique normal. La symptomatologie a évolué favorablement sous traitement antalgique.
Le troisième jour suivant la deuxième injection intramusculaire d’ASP, le malade fut hospitalisé d’urgence pour aggravation des douleurs épigastriques, vomissements bilieux sans arrêt des matières et des gaz.
L’examen clinique révélait une douleur provoquée de la région épigastrique avec défense et ballonnement abdominaux diffus. L’échographie abdominale était normale.
Le diagnostic de pancréatite aiguë était fait sur l’élévation de l’amylasémie à 737 UI/L (N < 86 UI/L). Les transaminases et les phosphatases alcalines étaient normales. Les lacticodéshydrogénases (LDH) étaient augmentés à 1300 UI/L.
La tomodensitométrie (TDM) montrait un pancréas tuméfié dans sa globalité, avec perte de la lobulation physiologique, de densité homogène avec absence d’épanchement péritonéal. La pancréatite était classée stade B de la classification tomodensitométrique de Balthazar [8] (Tableau 1).
Le malade était traité par une biantibiothérapie associant pénicilline et métronidazole, insulinothérapie, aspiration digestive et réanimation parentérale. L’évolution était bonne sous ce traitement, et le malade est sorti des unités de soins intensifs après 5 jours d’hospitalisation.
Le traitement de son hémopathie maligne a été poursuivi avec l’arrêt définitif de l’ASP. Le malade était en rémission complète après la première induction.
En juin 2005 est survenue une rechute de sa maladie. Une chimiothérapie de deuxième intention fut instituée. Le malade décéda deux mois plus tard après échec de ce traitement.
Discussion
Les pancréatites aiguës sont rares chez l’enfant. Les causes les plus fréquentes sont d’ordre traumatique ou infectieux ; plus rarement, on retrouve une pathologie vésiculaire, une maladie systémique (lupus), une prise médicamenteuse (corticostéroïdes, sulfasalazine, acide valproïque, asparaginase) [9]. L’asparaginase fait partie intégrante de plusieurs protocoles de traitement des leucémies.
Malgré son efficacité prouvée dans ces hémopathies malignes, elle n’est pas dénuée d’effets indésirables dont les plus fréquents sont des réactions d’hypersensibilité, des troubles de la coagulation et des atteintes neurologiques et pancréatiques.
Il n’est pas facile d’affirmer l’origine médicamenteuse d’une pancréatite aiguë. C’est un diagnostic d’élimination écartant les autres causes de pancréatite et étudiant la chronologie des prises médicamenteuses [2,10].
Dans cette observation, nous avons retrouvé une période de latence de 3 jours entre l’injection d’ASP et le début des signes cliniques qui étaient d’emblée évocateurs de pancréatite aiguë. Ce malade avait déjà ressenti des douleurs abdominales lors de l’injection précédente d’ASP. La latence possible des signes cliniques de pancréatite aiguë lors d’un traitement par ASP a été notée par Weetman et Baehner qui ont rapporté 4 observations de malades développant une pancréatite aiguë 4 jours à 10 semaines après l’arrêt de l’ASP [6].
Les pancréatites aiguës médicamenteuses ont été rapportées après traitement par les corticoïdes et par des agents cytolytiques (ASP, cytarabine, vinblastine) [2].
Dans la présente observation, le malade a reçu, dans les 15 jours précédant la survenue de pancréatite aiguë et en plus de l’ASP, de la prednisolone à laquelle a été attribué un effet toxique possible sur le pancréas [5]. Dans plusieurs observations de pancréatite sous ASP, les malades étaient traités simultanément par corticoïdes [3,11,12].
Dans une étude rétrospective comparant deux séries, Loeb et al. ont montré que la fréquence des pancréatites aiguës induites par ASP associée aux corticoïdes était le double de celles induites par les corticoïdes seuls [13]. Land et al. ont fait l’étude histopathologique de 4 pancréatites aiguës sous corticoïdes et ASP et n’ont pas observé de lésions habituelles des pancréatites induites par les corticoïdes [3]. Ainsi, s’il existe une synergie d’action de l’ASP et des corticoïdes sur le pancréas, l’apparition d’une pancréatite nécrosante semble être surtout due à l’ASP [6].
Le diagnostic des pancréatites aiguës sous ASP est difficile. Les réactions pancréatiques sous ASP sont fréquentes et Clavell et al. les ont regroupées sous le terme d’hyperamylasémie transitoire [11]. Elles ne correspondent pas à des lésions anatomiques de pancréatite aiguë. Dans la série de Weetman et Baehner, 3 des 5 malades qui présentaient un tableau clinique de pancréatite aiguë n’avaient aucune lésion histologique du pancréas [6].
En cas de pancréatite aiguë nécrotique sous ASP, le pronostic est grave. Samuels et al., à partir de 3 séries totalisant 203 malades, ont constaté un taux de mortalité variant de 1,8 % à 4,6 % en cas de pancréatite aiguë avec manifestations cliniques et variant de 1,9 % à 7,3 % si on y ajoutait les pancréatites aiguës occultes mises en évidence par des autopsies systématiques [14].
L’augmentation des enzymes pancréatiques n’est pas non plus un critère de diagnostic absolu. En dehors de ces contraintes, le protocole de surveillance expose à des faux positifs dus à la présence d’adénopathies rétropéritonéales péripancréatiques ou à une infiltration leucémique du pancréas [15]. En cas de pancréatite aiguë, l’apparition d’un iléus peut gêner l’exploration échographique du pancréas.
En revanche, l’échographie et la tomodensitométrie permettent d’affirmer précocement le diagnostic de pancréatite aiguë, d’en préciser la gravité et d’en détecter les complications. Le diagnostic positif est fait devant un pancréas augmenté de volume et d’échogénicité modifiée. Le plus souvent, le pancréas est hypoéchogène, ce qui correspond à une pancréatite oedémateuse. Dans 20 % des cas, il est hétérogène avec des nodules hyperéchogènes et des zones hypoéchogènes, correspondant à une pancréatite aiguë nécrotico-hémorragique [16,17].
Au terme de ces examens, on apprécie le stade de gravité en attribuant un grade selon la classification de Ranson et al. ou celle de Hill [18]. On identifie ainsi les patients à haut risque de complications [19]. Les complications précoces sont liées à la diffusion extensive des coulées de nécrose, associées à un état de choc toxique et hypovolémique. Les complications tardives comportent des pseudokystes, des abcès et des complications vasculaires.
L’utilisation de critères de nécrose pancréatique biologique et tomodensitométrique permet d’affirmer la pancréatite aiguë. Ces critères sont résumés dans le tableau 2, leur spécificité et leur sensibilité ont été démontrées [20]. Ils doivent être étudiés chaque fois qu’une pancréatite aiguë sous ASP est suspectée. L’élévation d’un ou de deux critères (LDH et/ou protéine C réactive [CRP]), obtenue en moins de 24 heures, doit faire réaliser rapidement une TDM abdominale et doit faire arrêter le traitement par ASP.
Dans les réactions pancréatiques sans critère de nécrose, le traitement par ASP pourrait être poursuivi avec les précautions soulignées par Clavell et al. : utilisation d’injections intramusculaires d’ASP et arrêt des corticoïdes [11].
Le traitement des pancréatites aiguës secondaires à l’ASP est identique à celui des pancréatites d’autre origine. Il faut éviter le drainage chirurgical précoce des zones de nécrose pancréatique et péripancréatique.
Le drainage est réservé aux collections limitées, symptomatiques ou de grande taille, mises en évidence grâce à la surveillance clinique et tomodensitométrique [15].
Conclusion
Le diagnostic des pancréatites aiguës sous ASP est rendu difficile par la fréquence des formes latentes ou paucisymptomatiques. La prise simultanée de corticoïdes représente un facteur de risque supplémentaire de survenue de pancréatite aiguë. Le dosage des marqueurs de la nécrose pancréatique (LDH, CRP) et la réalisation d’un examen tomodensitométrique du pancréas après injection de produit de contraste permettent de confirmer rapidement le diagnostic de pancréatite aiguë. Dans ce cas, l’arrêt de l’ASP doit être immédiat.
Références
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