M. Askri,1 B. Belgacem,2 I. Zine,3 M. Haddad4 et M. Besrour1
مسح لمعارف وتجارب الأمهات اللاتي يواجهن سلوكيات إدمانية معينة لدى المراهقين في محافظة تونس
منية عسكري، إبراهيم بالقاسم، إلهام الزين، مريم حداد، ومنية بسرور
الخلاصـة: قام الباحثون في هذه الدراسة بتقصِّي 415 من الأمهات اللاتي يُراجعنَ مراكز الرعاية الصحية الأولية بانتظام، بشأن معارفهن عن السلوك الإدماني للمراهقين في ما يتعلَّق بالتبغ والكحول والمخدرات. ورأت معظم الأمهات أن المراهقة مرحلة صعبة. ولوحظ ازدياد تفهم الأمهات لهذه المرحلة مع ارتفاع مستواهن التعليمي. ولم تكن الأمهات عادةً يناقشن قضية الإدمان مع أولادهن، ولاسيَّما إدمان الكحول والمخدرات. ومع ذلك، كانت الأمهات على دراية بمخاطر الإدمان، وكن يعتَبِرْنَ الحملات الإعلامية حول هذه القضية وسيلة فعَّالة في الوقاية من الإدمان. وكان لدى حوالي نصف الأمهات خبرة بالسلوك الإدماني لأحد أفراد الأسرة. وقد نجحت الأمهات في حل هذه المشكلات من خلال المساعدة المقدمة للأسرة أو بالتشاور مع اختصاصي.
RÉSUMÉ: Nous avons réalisé une enquête auprès de 415 mères fréquentant les centres de santé de base afin d’évaluer leurs connaissances en matière de conduites addictives, notamment celles relatives au tabac, à l’alcool et à la drogue, chez les jeunes. La plupart des mères considèrent que la période de l’adolescence est difficile à vivre. L’appréhension vis-à-vis de cette période est croissante avec le niveau d’instruction des mères. Le thème des conduites addictives n’est pas souvent abordé avec leurs enfants, surtout pour l’alcool et la drogue. Les mères semblent bien informées sur les risques liés aux conduites addictives. Elles approuvent les campagnes d’information à ce sujet. Près de la moitié des mères avaient un vécu de conduites addictives qui a touché un membre de leur famille. Elles ont géré leurs problèmes en sollicitant l’aide de la famille ou celle d’un spécialiste..
Knowledge and life experience of mothers facing certain teenager’s addictive behaviours in the region of Tunis
ABSTRACT: We surveyed 415 mothers who regularly consult primary healthcare centres about their knowledge of addictive behavior in teenagers in relation to tobacco, alcohol and drugs. Most mothers considered the teenage period difficult. Apprehension of this period increased with the educational level of the mothers. Mothers did not often discuss the issue of addiction with their children, especially related to alcohol and drugs. Nevertheless, the mothers were aware of the risks of addiction. They considered information campaigns about this topic an efficient means of prevention. About half of the mothers had experience of addictive conduct involving a family member. They resolved the problems through family help or consultation with a specialist.
1Centre de Santé de Base de Jebel Labmar (Tunisie).
2Service régional des Soins de Santé de Base de Tunis (Tunisie) (Correspondance à adresser à B. Belgacem :
4Centre intermédiaire La Marsa (Tunisie).
Reçu : 09/03/06 ; accepté : 10/07/06
EMHJ, 2008, 14(1): 189-194
Introduction
Les conduites addictives connaissent de nos jours une expansion extraordinaire qui menace par son ampleur tous les pays du monde [1]. Certaines de ces conduites, notamment celles liées à l’usage du tabac, de l’alcool et de la drogue, intéressent davantage la jeunesse [2]. Le phénomène de la toxicomanie est particulièrement difficile à mesurer et ne semble pas encore poser un problème de santé publique en Tunisie [3]. Néanmoins, les recherches d’épidémiologie descriptive dans ce domaine sont nécessaires. L’apparition d’une relation toxicomaniaque entre une personne et une substance résulte souvent d’une intrication de paramètres multiples [4,5]. On y trouve, outre l’effet propre à chaque substance, des facteurs psychiques, des facteurs familiaux, des facteurs environnementaux et sociaux variables selon le cas dans leur nature et leurs proportions [1]. L’importance des problèmes familiaux est de mieux en mieux connue de nos jours. La place qu’occupent les parents et en l’occurrence la mère dans le dialogue au sein de la famille nous a amenés à faire cette étude.
Cette étude a pour objectifs d’évaluer les connaissances des mères en matière de conduites addictives (tabac, alcool, drogue), de situer l’ampleur du problème de la toxicomanie à travers les mères et d’apprécier le degré de dialogue entre la famille et les jeunes.
Méthodes
Notre étude a intéressé un échantillon de mères de la région de Tunis âgées de 35 à 60 ans, de nationalité tunisienne et fréquentant les Centres de Santé de Base (CSB) de Tunis.
Il s’agit d’un échantillon de 415 mères réparties sur 14 CSB représentant les 14 circonscriptions sanitaires de Tunis. Un sondage aléatoire en grappe à deux degrés a été effectué pour le choix de cet échantillon : tirage au sort d’un CSB par circonscription ; tirage au sort, au sein des CSB sélectionnés, des mères qui ont fait l’objet de cette enquête. Toutes les mères répondant aux critères de choix de l’échantillon consultant le CSB pendant la période du déroulement de l’enquête ont été soumises au questionnaire (soit 30 mères par CSB).
C’est une étude régionale transversale de type descriptif. Elle utilise un questionnaire réalisé en arabe comportant les rubriques suivantes : renseignements personnels ; perception des mères au sujet de l’adolescence et de la jeunesse ; connaissances et expériences vécues des mères concernant certaines conduites addictives. Le questionnaire a été élaboré par une équipe de quatre médecins en concertation avec une psychologue clinicienne et adopté suite à une pré-enquête.
L’étude a été menée par une équipe de 14 médecins volontaires pendant la période s’étalant du 21 au 27 février 2005. Les informations ont été recueillies par un questionnaire dirigé. La saisie et le traitement des données ont été effectués grâce à un traitement informatique par le logiciel Epi Info 6 au service régional des soins de santé de base de Tunis.
Résultats et discussion
Identité des mères
L’âge moyen des mères est de 46,9 ans (écart type [ET] 7,9). Leur niveau d’instruction se répartit ainsi : 35,3 % sont illettrées ; 41,2 % des mères sont de niveau primaire ; 20,8 % des mères sont de niveau secondaire ; 3 % seulement ont accédé à des études supérieures.
L’étude du statut familial montre que 80 % des mères vivent avec leur mari ; 8,2 % des mères sont divorcées ; 8,9 % d’entre elles sont veuves ; 1,2 % sont séparées et 1,7 % sont célibataires.
Leur nombre moyen d’enfants est de 3,5 avec un maximum de 10. La répartition des enfants selon le sexe se présente comme suit : le nombre moyen de filles est de 1,8 (ET 1,4) avec des variations de 0 à 7 ; le nombre moyen de garçons est de 1,7 (ET 1,2) avec les mêmes variations.
L’étude du type de logement a montré que le logement traditionnel prédominait (45,3 %) ; 20,5 % des familles occupaient un appartement ; 25,5 % des familles vivaient dans une villa.
Le logement commun existe pour 8,7 % des mères. Le nombre moyen de familles par logement commun est de 1,25 (ET 0,55) avec un maximum de 3 familles par maison.
Perception des mères au sujet de l’adolescence et de la jeunesse
Notre enquête a révélé que pour 69,4 % des mères, la période de l’adolescence était difficile à vivre ; 54,5 % des mères estiment que les adolescents partagent cet avis ; 67,5 % des mères pensent qu’elles consacrent suffisamment de temps pour dialoguer avec leurs enfants ; 23,4 % le font de manière inconstante et 7 % déplorent le manque de temps consacré au dialogue au sein de la famille.
D’après l’enquête nationale sur la santé des adolescents réalisée par la Direction de la Médecine scolaire et universitaire en 2000 [3], la quasi-totalité des adultes mais surtout les enseignants déclarent que les adolescents leur signalent que leur famille ne consacre pas suffisamment de temps pour discuter avec eux (92,1 %). Très peu de parents déclarent rencontrer des difficultés relationnelles avec leurs enfants (25 %) [6].
Du point de vue des adolescents, 72,5 % pensent que leurs parents sont attentifs à eux. Cependant, 16 % ne trouvent aucun membre de la famille à leur écoute [3].
Notre étude a mis en évidence une corrélation statistiquement significative entre le niveau d’instruction des mères et l’appréciation de la période de l’adolescence (p = 0,0001). Cette période est perçue comme étant difficile à vivre beaucoup plus pour les mères de niveau universitaire et secondaire que pour celles de niveau primaire ou les illettrées.
Il existe également une corrélation statistiquement significative entre le niveau d’instruction des mères et l’idée que l’adolescence est difficile à vivre pour les enfants (p < 0,0001). Il en découle que plus les mères sont instruites, plus elles ont d’appréhension par rapport à la période de l’adolescence aussi bien pour elles-mêmes que pour leurs enfants.
Nous n’avons pas trouvé par contre de lien significatif entre le niveau d’instruction des mères et leur appréciation du temps qu’elles réservent au dialogue avec leurs enfants.
Les thèmes de discussion relatifs à l’adolescence et à la jeunesse, et notamment la fréquence avec laquelle les mères abordent ces thèmes avec leurs enfants, se sont révélés variables :
les sujets relatifs à la violence : les mères communiquent avec leurs enfants en terme de vol plus fréquemment que de suicide ou d’agression sexuelle et de perversion sexuelle. On note que le thème du suicide reste particulièrement un sujet tabou puisque 59 % des mères déclarent ne l’avoir jamais abordé (Tableau 1).
Les thèmes relatifs à la sexualité et au sida sont insuffisamment abordés par les mères (Tableau 2).
Les thèmes relatifs aux conduites addictives : 59,6 % des mères ont discuté du tabagisme contre 39,5 % seulement pour l’alcool et 25,3 % pour la drogue (Tableau 3).
Aucune relation n’a pu être établie entre le niveau d’instruction des mères et la fréquence de ces thèmes avec leurs enfants.
Connaissances et expériences des mères concernant certaines conduites addictives
Notre échantillon de mères semble bien informé sur les risques liés aux conduites addictives : plus de 81,4 % des mères estiment que l’utilisation de la drogue constitue un grand fléau dans notre société [7] ; plus de 62,9 % des mères pensent que tous les jeunes y sont exposés et qu’à ce titre la drogue est plus dangereuse que le tabac ou l’alcool. Seulement 50,6 % des mères sont au courant de l’existence de la loi interdisant le tabac dans les lieux publics, ce qui dénote un manque de sensibilisation et d’information à ce sujet. Environ 81,4 % des mères approuvent l’idée que l’usage occasionnel des drogues conduit à la dépendance qu’elles considèrent comme une véritable maladie [2]. Elles sont aussi nombreuses à penser que les toxicomanes sont des délinquants (80,7 %). Pour 89,9 % des mères, l’usage de la drogue entraîne un comportement immoral ; 80,5 % pensent que les campagnes de sensibilisation et d’information aident à dissuader les jeunes de toucher à la drogue [8] ; 84,8 % des mères pensent aussi que les campagnes doivent faire peur des conséquences de la toxicomanie, et le problème de la drogue concerne la société dans sa globalité pour 85,5 % d’entre elles [9]. Il n’a pas été possible de mettre en évidence une relation entre le niveau d’instruction des mères et leurs connaissances en matière de conduites addictives sauf avec l’idée que le tabac, l’alcool et la drogue représentent le même danger [8], et avec la connaissance de la loi antitabac (p < 0,0001).
Cette étude a révélé par ailleurs que 48 % des mères interviewées reconnaissaient avoir vécu un problème de dépendance dans leur famille ou leur entourage.
Le vécu de la toxicomanie (tabac non inclus) intéressait, dans 70,5 % des cas, les proches et les voisins. Le degré de parenté avec la personne touchée était pour 15,5 % des cas les enfants, pour 15,5 % des cas la fratrie, les proches et les amis pour 69 % des mères.
L’addiction a concerné : l’alcool dans 73,9 % des cas, la drogue dans 31,7 % des cas, l’usage de médicaments psychotropes dans 25,1 % des cas. Pour chercher une solution à ce problème, 33,8 % des mères concernées par un vécu d’addiction ont eu recours à un spécialiste ; 12,5 % ont été aidées par la famille ; pour 24,6 %, aucune solution n’a pu être envisagée.
Nous n’avons pas trouvé de corrélation significative entre le niveau d’instruction des mères et le vécu ou non d’une expérience de conduites addictives par rapport à l’alcool, la drogue et les médicaments psychotropes.
Nous avons par ailleurs défini trois groupes d’âge dans notre population cible afin de rechercher les corrélations possibles : les femmes âgées de 35 à 40 ans, 41 à 50 ans et 51 à 60 ans.
Il semble exister une corrélation significative entre ces groupes d’âge et :
l’appréciation de la période de l’adolescence comme étant difficile pour les mères, le groupe des 41 à 50 ans comptant le plus de réponses affirmatives (p = 0,008) ;
l’appréciation de la période de l’adolescence comme étant difficile pour les jeunes (p = 0,004).
Par ailleurs, il ne semble pas exister de relation entre les groupes d’âge et le temps réservé au dialogue dans la famille, la fréquence de discussion de sujets relatifs à l’adolescence, les connaissances des mères en matière de conduites addictives.
En revanche, il existe une corrélation positive entre l’âge et l’idée que le tabac, l’alcool et la drogue représentent le même danger (p = 0,025), et l’idée que la dépendance à la drogue est une maladie (p = 0,0004).
Il en découle que la tranche d’âge des 41 à 50 ans est celle qui semble la mieux informée en matière de conduites addictives, ce qui est prévisible puisque cette tranche d’âge est censée avoir des enfants à l’âge de l’adolescence et de la jeunesse.
Conclusion
Cette étude nous a permis de faire une meilleure approche des connaissances et du vécu d’un échantillon représentatif de 415 mères fréquentant les structures de santé de première ligne de Tunis vis-à-vis de certaines conduites addictives, notamment celles relatives au tabac, à l’alcool et à la drogue. Nous avons pu relever que la période de l’adolescence est perçue comme étant difficile à vivre pour 69,4 % des mères enquêtées et ce, malgré le temps jugé suffisant qu’elles consacrent au dialogue avec leurs enfants.
Cette appréhension vis-à-vis de la période de l’adolescence est croissante avec le niveau d’instruction des mères. Les thèmes de discussion relatifs à l’adolescence sont abordés de manière différente et avec une fréquence variable. Nous avons pu relever que le thème des conduites addictives n’est encore pas assez souvent abordé surtout pour l’alcool, et l’est encore moins pour la drogue. Néanmoins, notre échantillon de mères semble bien informé sur les risques liés aux conduites addictives et le danger sans cesse grandissant qu’elles représentent pour la jeunesse. Elles approuvent les campagnes de sensibilisation et d’information à ce sujet en tant que moyen de prévention efficace et estiment que le problème de la drogue concerne la société dans sa globalité.
Enfin, notre étude a révélé que 48 % des mères interviewées avaient un vécu de conduites addictives qui a touché plus souvent quelqu’un de leur entourage qu’un membre de la famille. Elles ont géré leurs problèmes différemment en sollicitant soit l’aide de la famille, soit celle d’un spécialiste. Certaines n’ont pu trouver aucune solution aux difficultés auxquelles elles ont été confrontées.
Il faut souligner le rôle primordial de la famille dans la prévention, l’accompagnement et la prise en charge des conduites addictives chez les jeunes.
Il semble impératif de sortir des querelles d’écoles théoriques et de partir des besoins et attentes du sujet et de sa famille. Il s’agit donc moins de pointer d’hypothétiques « causes familiales » des conduites addictives que d’encourager le dialogue parent/enfant et d’accompagner les familles ayant des difficultés et confrontées aux problèmes des conduites addictives.
Références
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- Broers B, Gache P, Humair JP. Addictions en médecine communautaire : réflexions et perspectives. Médecine et hygiène, 2003, 61(2451):1782–5.
- Enquête nationale sur la santé des adolescents scolarisés (Direction de la Médecine scolaire et universitaire). Tunis, Ministère de la Santé publique, 2005.
- Le Moal M. L’addiction : une maladie comme une autre ? La Revue du Praticien, 2003, 53:1294–8.
- Parquet PJ. Conduites addictives. Pour une autre approche de la consommation des substances psychoactives. La Revue du Praticien, 2003, 53:1291–3.
- Gilbert P, Baudier F, Gautier A. Drogues illicites : pratique et attitudes. Baromètre Santé 2000, vol. 2 : résultats Vanves : CFES 2001.
- Reynaud M, Parquet PJ, Lagrue G. Les pratiques addictives : usage, usage nocif et dépendance aux substances psychoactives. Paris, Odile Jacob, 2000.
- Reynaud M. Usage nocif de substances psychoactives. Paris, La Documentation française, 2002.
- Prochaska JO, DiClemente CC, Norcross JC. In search of how people change. Applications to addictive behaviors. American psychologist, 1992, 47:1102–14.
- Rapport sur la santé dans le monde, 2002. Réduire les risques et promouvoir une vie saine. Genève, Organisation mondiale de la Santé, 2002.