Déterminants des délais de consultation, de diagnostic et de traitement pour les nouveaux patients tuberculeux pulmonaires à microscopie positive au Maroc : étude transversale

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M. Akrim,1 K. Bennani,2 A. Essolbi,1 M. Sghiar,2 A. Likos,1 A. Benmamoun,2 O. El Menzhi2 et A. Maaroufi1

محدِّدات تأخُّر الاستشارة والتشخيص والمعالجة لدى مرضى السل الرئوي الجدد إيجابيِّي اللطاخة في المغرب: دراسة مستعرضة

محمد أكريم، كنزة بناني، أمينة الصلبي، محمد صغيار، أنّا ليكوس، عبد الرحمن بنمأمون، عمر منزهي، عبد الرحمان معروفي

الخلاصة: قد أجرى الباحثون دراسة مستعرضة في عام 2012 في 12 محافظة ومقاطعة مختارة في المغرب لتحديد تأخُّر الاستشارة (تأخُّر المريض)، وتأخُّر التشخيص وتأخُّر المعالجة (تأخيرات النظام الصحي)، والعوامل المتعلقة بهذه التأخيرات. وقد شملت العيِّنة 250 مريضاً – انتُخِبوا وتم الحصول على موافقتهم – ممن شُخِّص لديهم حديثاً سلٌّ رئويٌ إيجابيِّ اللطاخة. وتمت مقابلتهم عند تسجيلهم في المراكز المرجعية لتشخيص السل والأمراض التنفسية أو في مراكز الرعاية الصحية المتكاملة، باستخدام استبيان مختبَر مسبقاً ومنظَّم. فكان متوسط التأخُّر الكلي ​​46 يوماً [الفاصل الربعي (IQI) = 29-84 يوماً]. وكان تأخُّر المريض (الوسطي = 20، IQI = 8-47 يوماً) أعلى من تأخير النظام الصحي (الوسطي = 15، IQI = 7-35 يوماً). ولكون بعض المرضى من غير المتعلمين، فقد ظنوا أن الأعراض ستختفي من تلقاء ذاتها. وكان هناك تَرَابُط بين وجود معوقات مالية والشعور بالخوف من التشخيص أو من العزلة الاجتماعية وبين تأخُّر المريض، وتَرَابُط بين إجراء استشارة في القطاع الخاص أولاً أو وجود 3 استشارات أو أكثر قبل التشخيص وبين تأخير تشخيص النظام الصحي.

RÉSUMÉ Nous avons conduit en 2012 une étude transversale dans une sélection de 12 provinces/préfectures au Maroc pour déterminer les délais de consultation (délai patient), de diagnostic et de mise sous traitement (délai système de santé) chez les nouveaux cas de tuberculose pulmonaire à microscopie positive et les facteurs en relation avec ces délais. L’échantillon comprenait 250 patients, éligibles et consentants, qui ont été interviewés lors de leur enregistrement aux Centres de Diagnostic de la Tuberculose et des Maladies Respiratoires (CDTMR) ou aux Centres de Santé Intégrés (CSI), en utilisant un questionnaire structuré et prétesté. Le délai total médian est de 46 jours (intervalle interquartile [IIQ] : 29-84 jours). Le délai patient (médiane : 20 jours ; IIQ : 8-47) est supérieur au délai système de santé (médiane : 15 jours ; IIQ : 7-35). Être analphabète, croire à la disparition spontanée des symptômes, avoir des contraintes économiques ou peur du diagnostic et de l’isolement social sont associés au délai patient. Consulter en premier dans le secteur privé ou faire trois consultations au moins avant le diagnostic sont associés au délai système de santé.

Determinants of consultation, diagnosis and treatment delays among new smear-positive pulmonary tuberculosis patients in Morocco: a cross-sectional study

ABSTRACT We conducted a cross-sectional survey in 2012 in 12 selected provinces and prefectures in Morocco to determine consultation delay (patient delay), diagnosis delay and treatment delay (health system delays), and factors relating to these delays. The sample included 250 eligible and consenting newly diagnosed smearpositive pulmonary tuberculosis patients who were interviewed at the time of their registration within Diagnosis of Tuberculosis and Respiratory Diseases Reference Centers (CDTMR) or Integrated Health Centers (CSI) using a pretested and structured questionnaire. The median total delay was 46 days [inter-quartile interval (IQI) = 29-84 days]. Patient delay (median = 20; IQI = 8-47 days) was higher than health system delay (median=15; IIQ = 7-35 days). Being illiterate, thinking symptoms will disappear by themselves; having financial constraints and feeling fear of diagnosis or social isolation were associated with patient delay. Consulting first in the private sector or having 3 or more consultations before diagnosis was associated with health system delay.

1Institut National d'Administration Sanitaire, Programme FETP-Maroc, Rabat (Maroc) (Correspondance a adresser a M. Akrim : This email address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it.).
2Service des Maladies Respiratoires, Direction de L'FpidemioLogie et de Lutte contre Les Maladies, Rabat (Maroc).
Regu : 25/07/13 ; accepte : 04/04/14


Introduction

La tuberculose est aussi ancienne que la civilisation humaine ; elle est l’une des plus vieilles affections touchant l’homme (1). C’est une maladie infectieuse, contagieuse, à transmission essentiellement interhumaine, due principalement à Mycobacterium tuberculosis (bacille de Koch). Aujourd’hui, même si la tuberculose est une maladie guérissable, que l’on peut prévenir, elle n’en reste pas moins l’une des plus grandes causes de morbidité et de mortalité à l’échelle mondiale.

Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), un tiers de la population mondiale est infectée par M. tuberculosis. Environ 9 millions de nouveaux cas de tuberculose sont déclarés chaque année et plus d’un million de patients meurent annuellement (2). Afin de diminuer l’impact de la tuberculose sur la population mondiale, les Nations Unies ont fait de la lutte contre cette maladie l’un des huit objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), la cible à l’horizon 2015 étant de réduire l’incidence de la tuberculose de moitié par rapport au niveau de 1990 (3). Pour atteindre cette cible, l’Assemblée mondiale de la Santé a retenu deux indicateurs : un taux de dépistage des cas de tuberculose, à l’échelle mondiale et au niveau des pays, supérieur à 70 % et un taux de succès thérapeutique

de 85 % (4).

Le Maroc avait atteint ces taux dès les années 1990, ce qui a valu au programme national de lutte antituberculeuse (PNLAT) la reconnaissance de l’OMS et du Partenariat « Halte à la tuberculose ». Malgré cela, notre pays continue d’enregistrer quelque 27 000 nouveaux cas de tuberculose chaque année, soit une incidence légèrement inférieure à 83 nouveaux cas de tuberculose (toutes formes) pour 100 000 habitants par an. Parmi ceux-ci, environ 12 000 patients présentent une tuberculose pulmonaire à microscopie positive (TPM+), soit une incidence annuelle de 37 nouveaux cas pour 100 000 habitants (5).

L’un des principaux objectifs de tout programme de lutte antituberculeuse est de réduire la transmission de la tuberculose dans la communauté, et ce à travers le dépistage précoce des cas et l’instauration rapide d’une thérapeutique adaptée (6). Ceci est encore plus important lorsqu’il s’agit de patients TPM+, lesquels constituent la principale source d’infection dans la communauté. En effet, on estime qu’un patient TPM+ non détecté a le potentiel d’infecter 10 à 15 personnes par an et plus d’une vingtaine au cours de l’évolution naturelle de sa maladie s’il n’est pas traité (6-10).

Malgré les énormes avancées dans plusieurs aspects de la lutte contre la tuberculose, le délai de diagnostic et de mise sous traitement reste un grand problème dans plusieurs pays (10-13). La détection précoce et le traitement des cas TPM+ sont les points clés du succès des programmes de lutte. L’identification et le traitement de ces cas infectieux de tuberculose sont considérés comme la mesure de lutte contre la tuberculose la plus rentable en termes de coût-efficacité (14). Le retard dans le diagnostic et dans l’initiation d’un traitement antituberculeux efficace chez ces patients conduit à des affections plus étendues et plus compliquées et à une augmentation du taux de mortalité (10,15,16). Il implique aussi une contagiosité plus prolongée dans la communauté et au sein du personnel de santé (8,17-19).

À ce jour, très peu de données sont disponibles dans notre pays concernant les différents délais de consultation, de diagnostic et de mise sous traitement des patients TPM+. Une étude réalisée dans le cadre des mémoires de Maîtrise de l’Institut national d’Administration sanitaire en 1999 a permis de documenter un délai moyen de plus de huit semaines et a permis de soulever un certain nombre de déterminants du retard de mise sous traitement chez les patients tuberculeux en milieu militaire (20). Or, ce dernier devis ayant une faible validité externe, il ne pouvait être extrapolé à l’ensemble de la population marocaine. La connaissance de ces délais et des déterminants qui agissent sur ceux-ci dans un échantillon représentatif de patients TPM+ pourrait nous aider à formuler des propositions pour une prise en charge précoce des patients et, par conséquent, contribuer à l’amélioration des performances du PNLAT dans notre pays.

L’objectif principal de cette étude était de déterminer les délais de consultation (délai attribuable au patient), de diagnostic et de mise sous traitement (délais attribuables au système de santé) et d’analyser les déterminants en relation avec ces délais chez les nouveaux cas de tuberculose pulmonaire à microscopie positive.

Méthodes

Nous avons mené une étude transversale descriptive selon une approche mixte, quantitative et qualitative, visant à analyser les déterminants des délais de consultation, de diagnostic et de mise sous traitement anti-bacillaire des patients nouveaux cas TPM+ consultant au niveau d’un échantillon représentatif de Centres de Diagnostic de la Tuberculose et des Maladies Respiratoires (CDTMR) et de Centres de Santé Intégrés (CSI), lieux de diagnostic et de prise en charge des patients tuberculeux au Maroc.

Douze CDTMR et cinq CSI, de 12 provinces/préfectures représentant 11 des 16 régions administratives du Maroc, ont été sélectionnés comme unités d’analyse pour la réalisation de cette étude. Un échantillonnage non probabiliste par choix résonné a été privilégié pour la sélection de ces sites. Les 12 provinces/préfectures sélectionnées représentent les différentes régions géographiques, les différents niveaux socio-économiques et milieux de résidence de la population marocaine. Ces centres couvrent au maximum le territoire national et incluent les provinces/préfectures qui ont notifié le plus grand nombre de cas incidents ces dernières années (plus de 41 % des nouveaux cas de tuberculose TPM+ y ont été notifiés) ; les 11 régions auxquelles ils appartiennent génèrent plus de 88 % des nouveaux cas TPM+ dans notre pays. Des provinces avec des incidences plus faibles ont aussi été incluses.

Population à l’étude

La population cible (unité d’observation) de l’étude sont les malades nouveaux cas de tuberculose pulmonaire TPM+ diagnostiqués au moment de l’enquête. L’analyse bibliographique ainsi que l’exploitation des données des registres de consultation et des dossiers médicaux, rapportant les informations sur la date de début des symptômes liés à la tuberculose pulmonaire et la date de début du traitement anti-bacillaire chez des patients tuberculeux TPM+ enregistrés en 2011, nous ont permis de relever un délai de mise sous traitement supérieur à 30 jours chez plus de 75 % des patients. Considérant cette prévalence, avec un risque de première espèce à 5 % et un degré de précision de 5 %, un échantillon de 288 patients devait être recruté dans le cadre de cette étude (voir formule de calcul de la taille de l’échantillon ci-après).

Taille de l’échantillon = [(1,96)2 × (0,75) × (0,25)]/(0,05)2 = 288.

Critères d'inclusion : patient nouveau cas de tuberculose pulmonaire à microscopie positive (TPM+), éclairé et consentant, et qui est diagnostiqué au moment de l’étude.

Critères d'exclusion : malades présentant une tuberculose extrapulmonaire (TEP), tous les malades en retraitement, les patients de moins de 15 ans ainsi que ceux découverts lors d’un examen systématique.

Validité du devis

Le devis choisi présente une bonne validité interne car l’étude concerne seulement les nouveaux patients tuberculeux pulmonaires confirmés par une microscopie positive. Ces patients représentent la source principale de transmission de la tuberculose. Notre devis a aussi une bonne validité externe car nous pouvons extrapoler les résultats à l’ensemble des CDTMR et CSI dans notre pays.

Collecte des données

Un questionnaire structuré et prétesté a été utilisé pour la collecte des données de l’étude. Ce questionnaire est administré oralement par le médecin traitant ou le major du service. Les patients éligibles, éclairés et consentants sont successivement recrutés au moment de leur enregistrement, et ce, jusqu'à atteindre un effectif de 24 patients par province/préfecture. L’étude a été réalisée entre mars et mai 2012.

Les données socio-démographiques et cliniques, les facteurs de risque, le recours aux soins de santé, la connaissance de la tuberculose, la perception des symptômes et le stigma vis-à-vis de cette maladie sont collectés pour chaque patient. La date d’apparition des symptômes de la tuberculose, la date de la première consultation médicale pour cette affection, la date du premier diagnostic TPM+ et la date de mise sous traitement anti-bacillaire sont aussi relevées.

Il a été demandé aux patients d’être le plus précis possible dans la détermination de la date des événements antérieurs, et ce au jour près. Si le patient ne se rappelle que du mois sans aucune spécification, nous rapportons le 15 du mois comme date de l’événement. Nous rapportons le 5 du mois si le patient fait allusion au début du mois et le 25 si le patient fait allusion à la fin du mois. Nous nous reportons à tout événement qui puisse nous informer sur les dates exactes et nous consultons tous les documents qui peuvent nous éclairer sur les différentes dates depuis l’apparition des symptômes jusqu’à la mise sous traitement des patients.

Définition des variables à l’étude

La variable dépendante correspond aux différents intervalles de temps et délais représentés dans la figure 1. Ces intervalles de temps et délais sont définis pour chaque participant à l’étude comme suit:

délai de consultation : correspond au temps entre la date approximative d’apparition des symptômes de la tuberculose et la date de la première consultation médicale. Ce délai est reconnu dans la communauté scientifique comme « délai patient » ou « délai attribuable au patient ».

Délai de diagnostic : correspond au temps entre la date de la première consultation médicale et la date de confirmation du diagnostic TPM+.

Délai de traitement : correspond au temps entre la date du diagnostic de la tuberculose pulmonaire et la date d’initiation du traitement antituberculeux.

Ces deux derniers délais sont définis comme étant des délais attribuables au système de santé. Le délai total correspond à l’intervalle de temps entre la date d’apparition des symptômes et la date de mise sous traitement antituberculeux.

Les variables indépendantes (socio-démographiques, cliniques, facteurs de risque, recours aux soins, connaissance de la tuberculose ou stigma), qu’elles soient liées au patient ou bien au système de santé, sont évaluées pour leur association aux différents délais cités plus haut.

Analyse des données

Les données sont codées, saisies, vérifiées et nettoyées puis analysées à l’aide du logiciel Epi Info, version 3.5.3 pour Windows. Le test du χ2 est utilisé pour la comparaison de deux groupes. Le test paramétrique ANOVA est utilisé pour la comparaison des moyennes des délais selon les attributs des différentes variables explicatives. Quand les conditions d’application du test ANOVA ne sont pas réunies, le test non paramétrique de Kruskal-Wallis est utilisé. Comme les délais n’ont pas une distribution normale et sachant qu’il n’y a pas de consensus international pour définir un seuil pour les différents délais définis dans cette étude, la médiane de chaque délai est utilisée comme valeur seuil pour dichotomiser les variables dépendantes. L’analyse bivariée et multivariée par régression logistique permettra de définir les associations entre les différents délais et les différents facteurs indépendants qui sont liées au patient, aux professionnels de santé ou à l’organisation des services de soins. L’analyse qualitative consistera à faire le recoupement des données quantitatives avec les informations sur les connaissances sur la tuberculose des patients interviewés. Les mesures d’association sont calculées avec des intervalles de confiance à 95 % (en fixant un seuil de signification statistique à p < 0,05).

Considérations éthiques

Des demandes d’autorisation pour la réalisation de l’étude et pour la collaboration à la recherche ont été adressées aux autorités sanitaires des régions, provinces et préfectures sélectionnées. Un consentement éclairé oral a été obtenu de la part de chaque participant à l’étude. L’anonymat et la confidentialité ont été respectés pour toutes les données personnelles recueillies auprès des patients interviewés.

Résultats

Sur les 253 patients nouveaux cas TPM+ interviewés, 3 n’étaient pas éligibles, car ils avaient un âge inférieur à 15 ans. Nous avons donc atteint plus de 86,8 % de l’effectif total attendu, lequel était de 24 patients par province ou préfecture pour l’ensemble des 12 provinces/préfectures choisies pour la réalisation de l’étude. Ainsi, 18 patients (7,2 %) ont été recrutés au CDTMR de la préfecture d’Al Fida-Derb Soltane, 21 (8,4 %) au CDTMR de la préfecture de Casablanca-Anfa, 8 (3,2 %) au CDTMR de la province de Béni Mellal, 25 (10,0 %) au CDTMR de la province d’El Jadida, 24 (9,6 %) au CDTMR et à deux CSI de la province de Fès, 25 (10,0 %) au CDTMR et au CSI de la province d’Inezgane-Ait Melloul, 23 (9,2 %) au CDTMR de la province de Kénitra, 25 (10,0 %) au CDTMR de la préfecture de Marrakech, 27 (10,8 %) du CDTMR de la province de Nador, 15 (6,0 %) au CDTMR et à deux CSI de la province de Salé, 13 (5,2 %) au CDTMR de la province de Settat et 26 (10,4 %) au CDTMR de la province de Tanger.

Caractéristiques socio-démographiques de la population à l’étude

Les données concernant les caractéristiques socio-démographiques et les facteurs de risque pour l’ensemble de la population à l’étude et par sexe sont représentées dans le tableau 1.

Parmi les 250 patients interviewés, 182 (73,1 %) étaient des hommes, 69,0 % appartiennent à la tranche d’âge 15-44 ans et l’âge moyen est de 36,7 ans. L’âge médian est de 29 ans pour les femmes et de 33 ans pour les hommes, avec des âges extrêmes de 15-84 ans et 15-79 ans respectivement. Plus de la moitié des femmes et le tiers des hommes n’ont jamais été scolarisés, démontrant une association statistiquement significative entre le sexe féminin et la non scolarisation (odds ratio [OR] = 1,97 ; p = 0,01). Le quasi-tiers des patients à l’étude est sans profession, 77,5 % habitent en milieu urbain ou suburbain et le nombre moyen de personnes vivant dans le même foyer que le patient est de 5,9.

Concernant l’accessibilité aux soins de santé, 84,3 % des patients ont déclaré habiter à moins de 3 km d’une structure de santé médicalisée, avec une distance moyenne à parcourir de 2,7 km. Par contre, 84,7 % des patients déclarent n’avoir aucune couverture médicale.

Concernant les facteurs de risque associés à la tuberculose, 47,8 % des hommes et 6,0 % des femmes déclarent être fumeurs, la moyenne de cigarettes fumées étant de 18,5 paquets-années ; 10 % parmi ces fumeurs déclarent utiliser en même temps des drogues douces comme le kif ou le haschich. Trente-neuf patients (15,7 %) souffrent d’une pathologie chronique associée ; parmi eux, 17 sont diabétiques.

Caractéristiques cliniques et recours aux soins de la population à l’étude

La toux est le symptôme le plus commun rapporté par 240 patients (96,4 %), suivi de la fièvre (83,1 %) et de la perte de poids (80,3 %). L’hémoptysie n’est présente que chez 33,7 % des patients. Un peu plus de la moitié des patients ont rapporté une notion d’automédication.

Cent trente-huit patients (56 %) ont consulté en premier lieu au niveau du secteur privé ; parmi eux 78,1 % ont consulté dans un cabinet généraliste et le BKD (diagnostic du bacille de Koch [BK] par examen direct) n’est demandé par les médecins privés que chez 24,8 % des patients. La moyenne des consultations médicales, avant que le diagnostic TPM+ ne soit posé, est de deux consultations par patient et 33,1 % des patients seulement ont le diagnostic de la tuberculose posé après la première consultation médicale. Par ailleurs, 83,9 % des diagnostics de la tuberculose chez nos patients ont été réalisés dans les laboratoires des structures publiques de santé.

Enfin, presque 40 % des patients rapportent leur délai de consultation à l’espoir de guérir spontanément et l’idée que les symptômes vont disparaitre d’eux-mêmes. Par contre 5,1 % ont peur du diagnostic ou de l’isolement social, 3,6 % n’ont pas confiance dans le système de santé et 14,2 % ont tardé à aller consulter en raison de contraintes économiques. Et même si 58,7% des patients interviewés déclarent connaître la tuberculose, la moitié la connaît à travers la famille et l’entourage(Tableau 2).

Distribution des différents délais dans la population à l’étude

Le délai total médian est de 46 jours avec un minimum de trois jours et un maximum de 377 jours. Le délai attribuable au patient (médiane : 20 jours ; fourchette : 0-315) est supérieur au délai attribuable au système de santé (médiane : 15 jours ; fourchette : 0-331), avec des moyennes respectives de 36 et de 31 jours. Un peu plus de la moitié des patients (51,6 % des hommes et 50,6 % des femmes) ont consulté pour leurs symptômes en moins de trois semaines et 72,0 % de l’ensemble des patients ont un délai total supérieur à 30 jours. La distribution des différents délais est représentée dans le tableau 3.

Déterminants associés aux différents délais chez la population à l’étude

La comparaison des moyennes et des médianes des délais entre les différents attributs des variables à l’étude nous a permis de noter une différence statistiquement significative pour tous les délais entre les différents sites de l’étude. La petite ville de Nador au nord-est du Maroc présente le délai total le plus court avec une moyenne de 26,3 jours et une médiane de 24,5 jours. Les grandes métropoles à forte incidence de tuberculose, Tanger, Casablanca-Anfa, Inezgane Ait Melloul, Kénitra et Salé, présentent les délais totaux les plus longs (moyennes supérieures à 70 jours). Paradoxalement, au niveau de la grande métropole de Casablanca, le site d’Anfa présente les délais parmi les plus longs du pays et celui d’Al Fida, parmi les plus courts. La ville de Béni-Mellal, au centre du pays, présente les plus courts délais attribuables aux patients avec une moyenne de 14,5 jours ; elle présente, par contre, les plus longs délais de diagnostic avec une moyenne à 50,6 jours. Inversement, la ville de Settat a la moyenne des délais attribuables aux patients parmi les plus élevées (54,9 jours) et celle des délais de diagnostic parmi les plus basses (8,8 jours).

La comparaison des moyennes des différents délais à travers les différentes variables explicatives a par ailleurs montré qu’un long délai de consultation est significativement associé à la tranche d’âge 55-64 ans. Le délai de diagnostic est, quant à lui, très significativement associé au fait que la première consultation médicale soit dans le secteur privé ou que le patient ait fait plus de deux consultations médicales avant que le diagnostic TPM+ ne soit posé. Pour le délai total, une association avec le statut matrimonial, le niveau d’éducation et le stigma vis-à-vis de la tuberculose a été retrouvée. Ce dernier est aussi associé au délai de consultation. La perte de poids chez les patients est significativement associée aux délais de consultation et de diagnostic, prolongeant par conséquent le délai total.

Des analyses bivariées et multivariées par régression logistique entre les différents délais dichotomisés selon leurs médianes et les différents facteurs de risque ont permis de confirmer ces associations. Les résultats de ces différentes mesures d’association sont représentés dans le tableau 4

Le fait d’être analphabète, d’avoir perdu du poids, de connaître la tuberculose, de penser guérir spontanément et de faire plus de deux consultations médicales avant le diagnostic est significativement associé à un délai total de plus de 45 jours (p = 0,0077, 0,0424, 0,0139, 0,0025 et 0,0072 respectivement).

Les patients qui pensent que leurs symptômes vont disparaitre d’eux-mêmes, ceux qui ont une perte de poids, ceux qui ont des contraintes économiques et ceux qui ont peur du diagnostic ou de l’isolement social ont quatre fois plus de risque de long délai de consultation (plus de 20 jours après le début des symptômes) (p = 0,0000, 0, 0017, 0,0034 et 0,0226 respectivement). Les patients analphabètes ont sept fois plus de risque pour le même délai ; une interaction a été mise en évidence entre la variable niveau d’éducation et la variable sexe. Les patients qui ont eu plus de deux consultations médicales avant le diagnostic de la tuberculose et ceux âgés de 35 ans et plus ont, respectivement, 3,94 et 0,39 fois plus de risque d’avoir un retard de diagnostic et de mise sous traitement. Enfin, le fait d’être marié semble être un facteur protecteur pour le délai patient et un facteur à risque pour le délai système de santé.

Discussion

La surveillance de la tuberculose au Maroc se fait essentiellement à travers un système passif de détection des cas selon lequel les patients se présentent d’eux- mêmes aux structures sanitaires pour solliciter des soins de santé. Or ce système dépend énormément de la motivation, des connaissances et des capacités financières du malade. Il dépend aussi du degré de suspicion des professionnels de santé et de la qualité et de l’efficacité des services de diagnostic et de prise en charge (21). Cette étude nous a permis de documenter les différents délais, depuis l’apparition des premiers symptômes jusqu’à la mise sous traitement anti-bacillaire des malades nouveaux cas de tuberculose pulmonaire à microscopie positive, et d’analyser les facteurs associés à ces délais.

Le délai total moyen de 66,8 jours (9,5 semaines) enregistré dans notre étude est légèrement supérieur à celui enregistré chez les patients militaires marocains pris en charge au niveau du centre de phtisiologie des Forces Armées Royales de Marrakech en 1999 (20). L’auteur de ce travail avait relié ce délai principalement à la distance parcourue par les malades adressés à ce centre, et qui était en moyenne de 624 km.

Par rapport à d’autres pays de la région, le délai total enregistré dans notre étude est inférieur à celui rapporté dans d’autres pays de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord comme l’Iran, le Pakistan, la Somalie et la Syrie ainsi que dans d’autres pays d’Afrique subsaharienne et d’Asie (8,11,13,22-24), mais reste supérieur à celui enregistré en Égypte, en Iraq et au Yémen qui avaient documenté des délais moyens/médians de 57/44, 59,2/35 et 45,96/37,5 jours respectivement (11).

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Le délai attribuable au patient dans notre étude est supérieur au délai attribuable au système de santé. Chez 48,6 % de nos patients, ce délai est supérieur au seuil « acceptable » de trois semaines recommandé par l’Organisation mondiale de la Santé (25). Ce résultat est en accord avec celui observé en Iraq, en Somalie, en Syrie, en Turquie et au Yémen (11,26). Par contre, il diffère de ce qui a été observé dans d’autres pays d’Afrique subsaharienne comme la Gambie, le Ghana ou l’Ouganda (8,27,28). Moins de 40 % de nos patients initient leur traitement moins de 24 heures après leur diagnostic et plus de 10 % tardent plus d’une semaine avant leur mise sous traitement. Ce délai de mise sous traitement est injustifiable puisque les patients sont censés prendre leur traitement aussitôt le diagnostic posé et le poursuivre au niveau du centre de santé le plus proche de leur domicile. Ce délai prolonge inutilement la période de transmission de la tuberculose dans la communauté et expose au risque d’infections nosocomiales dans le milieu hospitalier (29).

Cette étude a permis de soulever un certain nombre de facteurs de risque associés à chacun des délais. Elle a aussi révélé quelques domaines d’investigations supplémentaires. La perte de poids, par exemple, ne fait pas partie des symptômes ayant motivé la consultation chez nos patients ; ceci peut expliquer son association statistique avec le délai patient et le délai total. Une étude plus poussée, ciblant les dates exactes d’apparition de chacun des symptômes et leur association avec les délais, devrait nous permettre de savoir si la perte du poids ou tout autre symptôme est plutôt une cause ou bien une conséquence de ces délais.

Il est reconnu que ce type d’étude présente des limitations potentielles dues notamment au biais de mémorisation et au fait qu’elle ne représente que les patients qui se sont présentés au système de santé. Cependant, les résultats obtenus dans cette étude peuvent être généralisés à tous les patients nouveaux cas TPM+ marocains, à l’exception des patients militaires pris en charge au niveau des services de santé des Forces Armées Royales. En effet, les médecins privés, en principe, adressent tous leurs patients aux structures publiques de santé, et l’impact des patients qui, pour une raison ou une autre, ne se sont pas présentés au système de santé et donc ne sont pas détectés par le système de surveillance existant sur les résultats de notre étude devrait être négligeable puisque l’Organisation mondiale de la Santé estime le taux de détection des cas TPM+ dans notre pays à plus de 96 %.

Nous avons démontré, à travers cette étude, qu’aussi bien le délai attribuable au patient que celui attribuable au système de santé jouent un rôle dans le retard de la mise sous traitement des patient tuberculeux TPM+ dans notre pays. Ces délais appellent à l’identification et à la mise en œuvre de stratégies réalistes et réalisables pour la promotion de la prise en charge précoce des patients tuberculeux TPM+ au sein du PNLAT.

En effet, un mécanisme est nécessaire pour augmenter l’indice de suspicion de la tuberculose chez les professionnels de santé, surtout chez les médecins généralistes du secteur privé, afin que des investigations appropriées soient faites au moment de la première consultation d’un patient ayant les symptômes de la tuberculose. De plus, l’augmentation du taux de dépistage actif des cas dans l’entourage des patients tuberculeux pulmonaires TPM+ devrait aider à la diminution de ces délais, lesquels peuvent être utilisés comme indicateurs du système de suivi-évaluation du programme national de lutte antituberculeuse. Par ailleurs, des supervisions doivent être faites pour assurer une plus grande adhésion aux standards nationaux de la lutte antituberculeuse, et comme le programme de lutte antituberculeuse est intégré au système de soins de santé de base, des mesures doivent être prises pour rendre ce système plus attractif. Le programme se doit aussi de sensibiliser le plus grand nombre possible de prestataires de soins et de les engager dans la lutte antituberculeuse. Ceci pourrait se faire à travers la mise en œuvre des initiatives de partenariats public-privé et public-public préconisées par l’OMS dans le cadre la stratégie « Halte à la tuberculose ».

Enfin, des campagnes d’éducation doivent être menées auprès de la population générale, et au-delà d’un apport général d’information sur la tuberculose, l’accent doit être mis sur la prévention de la transmission de la tuberculose à travers une prise en charge rapide et efficace des patients.

Remerciements

Nos sincères remerciements aux Directeurs régionaux de la Santé, Délégués provinciaux et préfectoraux et Médecins Chefs des CDTMR et CSI qui ont accepté de participer à cette étude. Nous tenons, tout particulièrement, à exprimer notre reconnaissance aux médecins traitants, aux Majors de service, aux animateurs de la lutte antituberculeuse (LAT) et à l’ensemble du personnel des CDTMR et CSI pour leur contribution effective à la collecte des données. À tous les patients qui ont accepté de participer à cette étude, nous adressons nos remerciements les plus sincères et nos vœux de guérison et de prompt rétablissement. Enfin, nous remercions le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme pour sa participation à la réalisation de cette étude.

Conflit d’intérêt: aucun.

References

  1. Daniel TM. The history of tuberculosis. Respir Med. 2006 Nov;100(11):1862-70. PMID:16949809
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