N. Bouafia,1 M. Mahjoub,1 A. Nouira,2 R. Ben Aissa,3 H. Saïdi,4 N. Guedana 5 et M. Njah 1
وبائيات الحمل المرتفع الاختطار في جِهَة سُوسَة بتونس
نبيهة بوعافية، محمد محجوب، آمال نويرة، ريم بن عيسى، حبيب سعيدي، نبيهة قدانة، منصور نجاح
الخلاصـة: أجرى الباحثون هذه الدراسة الوصفية لتقييم تكرار عوامل اختطار منتقاة في الحمل العالي الاختطار في نساء جهة سوسة. وقد شملت الدراسة جميع الحوامل (بعد الأسبوع 28 من الحمل) اللواتي وَلَدْنَ في أربع مستشفيات ولادة تابعة للقطاع العام بين 15 شباط/فبراير 2005 و15 آب/أغسطس 2005، ممَّنْ كان لديهن عامل اختطار واحد على الأقل. وجُمعت البيانات في غضون 24 ساعة بعد الولادة من سجلات التوليد وما قبل الولادة ومن خلال المقابلات، وقد بلغ عددهن 4660 حاملاً كان لدى 1194 منهن (%25.6) عامل اختطار واحد على الأقل وجرى اعتبارهن عُرْضةً لحمل مُخْتَطَر. وقد كان العمر الوسطي لهن 31.3 عاماً (الانحراف المعياري 5.4 عاماً)، وكان %73 منهن يسكّن في المدن، وقد تلقّى %38 منهن تعليماً ثانوياً أو أعلى، وكان %75 منهن ربّات بيوت. وبلغ العدد الوسطي لعوامل الاختطار 1.5 لكل امرأة. وكان لدى معظم النساء (%59.3) عامل اختطار واحد، وكان لدى %30.4 منهن عاملان اثنان من عوامل الاختطار. وبلغ العدد الوسطي للزيارات السابقة للولادة أربع زيارات، وكان %68.6 منهن قد راجَعْنَ أطباء التوليد، واستفاد %43 منهن من خدمات القطاع الخاص ولم يتم تحري بعض العوامل على نحوٍ كافٍ وهي: العمر أكبر من 35 عاماً، وعدد مرات الولادة أكثر من 4، وسوابق ولادة طفل منخفض الوزن، وموت الوليد، وزيادة طول قاع الرحم، وفقر الدم.
RÉSUMÉ la présente étude descriptive a évalué la fréquence de certains facteurs de risque pour la grossesse à haut risque chez les femmes de la région de Sousse. Elle a été menée du 15 février au 15 août 2005 auprès de l’ensemble des femmes ayant accouché au-delà de 28 semaines d’aménorrhée dans quatre maternités publiques et présentant au moins un facteur de risque. La collecte des données a été effectuée dans les 24 heures qui ont suivi l’accouchement à partir des dossiers obstétricaux et fiches de consultation prénatale et par entretien. Sur 4660 femmes, 1194 (25,6 %) avaient au moins un facteur de risque et étaient considérées comme des grossesses à risque. Les femmes à risque avaient un âge moyen de 31,3 ans (ET 5,4) ; 73 % étaient d’origine urbaine, 38 % avaient un niveau d’étude secondaire ou supérieure et 75 % étaient des femmes au foyer. La moyenne des facteurs de risque est de 1,5 par femme. La majorité des femmes (59,3 %) avaient un facteur de risque et 30,4 % en avaient deux. La moyenne des visites prénatales était de 4 ; 68,6 % ont été assurées par un obstétricien et 43 % des femmes ont recouru au secteur privé. Certains facteurs ont été insuffisamment dépistés : âge > 35 ans, parité > 4, antécédent de faible poids de naissance et de décès néonatal, hauteur utérine excessive et anémie.
Epidemiology of high risk pregnancy in Sousse, Tunisia
This descriptive study assessed the frequency of selected risk factors for high risk pregnancy (HRP) among women in Sousse region. All pregnant women (beyond 28 weeks gestation) giving birth in 4 public maternity hospitals between 15 February 2005 and 15 August 2005 and who had at least 1 risk factor were enrolled. Data were collected within 24 hours of birth from obstetric and antenatal records and by interview. Of 4660 pregnant women, 1194 (25.6%) had at least 1 risk factor and were considered at-risk pregnancies. Mean age of the at-risk women was 31.3 (SD 5.4) years, 73% were urban residents, 38% had secondary education or higher and 75% were housewives. The mean number of risk factors was 1.5 per woman. The majority of women (59.3%) had 1 risk factor and 30.4% had 2. The mean number of prenatal visits was 4, 68.6% were seen by an obstetrician and 43% used the private sector. Certain factors were inadequately screened: age > 35 years, parity > 4, previous low birth weight and neonatal death, excessive fundal height and anaemia.
1Service d’hygiène hospitalière ; 4Service de gynécologie-obstétrique, CHU Farhat Hached, Sousse (Tunisie) (Correspondance à adresser à M. Mahjoub :
2Service d’hygiène hospitalière, CHU Sahloul, Sousse (Tunisie).
3Centre de recherche de l’Office National de la Famille et de la Population de l’Ariana, Ariana (Tunisie).
5Office National de la Famille et de la Population, Tunis (Tunisie).
Reçu : 24/04/12; accepté : 07/03/12
EMHJ, 2013, 19(5):465-473
Introduction
La santé maternelle et infantile occupe une place importante dans les plans de développement sanitaire de nombreux pays. C’est le cas de la Tunisie qui, après la conférence de Nairobi sur la mortalité maternelle, a développé et mis en oeuvre divers programmes avec l’objectif de réduire les taux de mortalité et morbidité maternelles et infantiles. Ainsi et principalement, le programme national de périnatalité qui a démarré en 1991 avec des activités et des objectifs couvrant quatre axes : la surveillance prénatale, l’accouchement en milieu assisté, les soins néonatals et la surveillance post-natale [1]. Dans ce cadre, une stratégie a été préconisée plus spécifiquement pour les grossesses à risque en vue d’en assurer le dépistage et une prise en charge adaptée ; un certain nombre de facteurs ont été considérés comme à risque et une conduite standardisée a été établie pour chaque programme. Des recommandations ont été par ailleurs proposées et diffusées en vue d’atteindre les objectifs du programme [2]. Ainsi, en 2005, le taux de mortalité maternelle était estimé à 48 pour 100 000 naissances vivantes contre 69 pour 100 000 au début du programme, tandis que le taux de mortalité infantile était ramené à 20,3 pour 1000 naissances vivantes [3,4]. Plusieurs facteurs pourraient expliquer cette évolution, comme un meilleur dépistage des grossesses à haut risque, une meilleure adhésion des femmes au programme ou encore une modification du profil épidémiologique des grossesses à risque. C’est ce dernier aspect que nous avons souhaité analyser en essayant d’en dresser certaines caractéristiques.
L’objectif de ce travail a été donc d’étudier le profil épidémiologique des grossesses à risque prises en charge dans les structures de santé publique.
Méthodes
L’étude a ciblé les femmes de la région de Sousse située au Sahel tunisien, comportant 557 100 habitants et ayant un nombre de naissances vivantes en santé publique de 10 996 en 2005 [4]. Il s’agit d’une enquête descriptive prospective effectuée du 15 février au 15 août 2005 auprès de l’ensemble des femmes enceintes consultant pour accouchement au-delà de 28 semaines d’aménorrhée et présentant au moins un facteur de risque identifié lors d’une consultation prénatale ou a posteriori au moment de l’accouchement. Ces femmes ont été identifiées parmi celles qui viennent accoucher au niveau des maternités publiques de la région de Sousse : les deux maternités de circonscription (Enfidha et Kalaa Kebira), la maternité régionale (Msaken) et la maternité universitaire de Sousse, et ce, sans considérer l’issue de la grossesse.
N’ont pas été prises en compte dans cette étude :
les femmes qui accouchent en privé ou à domicile ;
les femmes résidentes dans les régions limitrophes et qui accouchent à la maternité universitaire censée couvrir certaines régions du Centre tunisien pour les grossesses à risque.
En se référant au programme national de périnatalité, les facteurs de risque retenus dans le cadre de notre étude sont :
les facteurs liés au terrain : âge supérieur ou égal à 35 ans, antécédents personnels de diabète et ou d’hypertension artérielle (HTA) ;
les facteurs liés aux antécédents gynéco-obstétricaux : utérus cicatriciel, multiparité (parité > 4), faible poids de naissance ou gros enfant (macrosomie), mort périnatale ou néonatale précoce, HTA au cours des grossesses précédentes ou diabète gestationnel ;
les facteurs liés à une pathologie de la grossesse en cours : HTA gravidique, diabète, anémie, hémorragie du troisième trimestre, rupture prématurée des membranes, allo-immunisation, grossesse multiple, retard de croissance intra-utérine ou gros bébé.
La collecte des données a été effectuée dans les 24 heures qui ont suivi l’accouchement à partir des dossiers obstétricaux, et complétée par les fiches de consultation prénatale si la femme a consulté dans un centre de santé de base (CSB) ou un centre de protection maternelle et infantile (PMI). Certaines données ont été complétées et/ou vérifiées éventuellement à partir de l’entretien avec la parturiente et la sage-femme : ainsi l’examen clinique et le recours aux examens biologiques prévus par le programme (numération formule sanguine [NFS]- glycémie - groupe sanguin - rhésus).
Quatre enquêteurs, dont trois médecins et une sage-femme, ont participé à la collecte des données.
La saisie et l’analyse des données ont été effectuées sur Epi Info. Outre la description des facteurs de risque, la surveillance prénatale est analysée selon le nombre et le moment du recours ainsi que le professionnel (sage-femme, médecin généraliste, spécialiste) et la filière (secteur public ou secteur privé consulté).
Résultats
Fréquence et caractéristiques générales des grossesses à risque
Selon la liste des facteurs de risque retenus, sur l’ensemble de la période considérée par l’étude, nous avons identifié 1194 grossesses à risque sur un total de 4660 femmes venues pour accouchement dans l’une des quatre maternités publiques de la région de Sousse, soit une proportion de grossesses à risque de 25,6 %. Un peu plus de 20 % du total de ces femmes (soit 249) ont accouché dans l’une des trois maternités périphériques de la région.
L’analyse des caractéristiques socio-démographiques des femmes ayant une grossesse à risque montre que l’âge moyen de ces femmes est de 31,3 (ET 5,4) ans, la quasi-totalité (98,2 %) sont mariées, un peu moins des trois quarts sont d’origine urbaine, un peu moins de la moitié ont un niveau d’étude primaire, le tiers un niveau d’étude secondaire et 6 % un niveau d’étude supérieure ; 75 % sont des femmes au foyer (Tableau 1). Enfin, près de 40 % des conjoints sont des journaliers ou des ouvriers.
Antécédents obstétricaux
Le nombre moyen de grossesses par femme est de 3,24 (ET 1,86) avec une parité moyenne de 2,1. Près de 40 % ont une parité égale à deux ou trois, 18 % sont des primipares et 10 % sont de grandes multipares ; 35,6 % des femmes ayant présenté une grossesse à risque n’ont pas utilisé de moyen de contraception pour programmer leur dernière grossesse.
Par ailleurs, la plupart des femmes (93 %) n’ont pas d’antécédent de mort-né (s) ou de décès néonatal. Près de 5 % ont un antécédent d’accouchement prématuré ou de grossesse arrêtée et seulement 3 % ont eu un enfant mal formé, ou ayant une pathologie ou un handicap. Enfin, un antécédent d’avortement spontané ou provoqué (chirurgical et médicamenteux) est retrouvé chez 8,9 % et 17 % des femmes respectivement, et d’une césarienne ou plus chez près de 25 % d’entre elles.
Fréquence et type de facteurs de risque
Selon la liste des facteurs retenus, nous avons enregistré 1823 facteurs de risque chez les 1194 femmes incluses dans l’étude, soit une moyenne de 1,5 facteur de risque par femme.
Les trois principaux facteurs de risque rencontrés sont par ordre d’importance : l’âge supérieur à 35 ans (21 % des facteurs de risque), l’antécédent d’une césarienne ou plus [utérus uni-cicatriciel et utérus bi-cicatriciel ou plus] (14,2 % des facteurs de risque) et le rhésus négatif (13,3 % des facteurs de risque). L’anémie (6,8 % des facteurs de risque), l’antécédent de macrosomie (6,5 % des facteurs de risque) et une parité supérieure à quatre (6,2 % des facteurs de risque) viennent juste après. L’hypertension artérielle et le diabète concernent 4,8 % et 4,5 % des facteurs de risque respectivement (Tableau 2).
Par ailleurs, plus de la moitié des femmes ayant une grossesse à risque ont un seul facteur de risque (59,3 %), un peu plus de 30 % ont deux facteurs de risque et plus de 10 % ont trois facteurs de risque et plus (Tableau 3).
Enfin, si on considère le groupe des femmes ayant présenté un seul facteur de risque, les principales situations à risque sont par ordre décroissant :
- un rhésus négatif (19,8 % des femmes)
- un âge ≥ 35 ans (19,1 % des femmes)
- un utérus cicatriciel (18,2 % des femmes)
- une anémie (7,3 % des femmes)
- une grossesse gémellaire (5,2 % des femmes).
Surveillance prénatale et dépistage des grossesses à risque
Fréquence de la surveillance prénatale
La moyenne des visites prénatales pour les femmes ayant consulté est de quatre. Par ailleurs, 24,4 % des consultations ont eu lieu au premier trimestre, 32,9 % au deuxième trimestre et 43,1 % au troisième trimestre.
Près de la moitié de l’ensemble des visites prénatales effectuées par les femmes ont eu lieu dans une structure privée (48,7 %) ; 23 % des consultations ont été assurées par des centres de santé publics de premier niveau (CSB) alors que les consultations effectuées dans des structures publiques de deuxième niveau (centres médicaux de spécialités) représentent 17,9 %.
Type de professionnels et filières
Les consultations ont été assurées principalement par un obstétricien dans 68,6 % des cas ou par une sage-femme dans 26,2 % des cas.
Par ailleurs, en raisonnant par rapport au nombre de femmes, les consultations ont été assurées par un médecin spécialiste à lui seul dans 61 % des cas, associé à une sage-femme dans 18,6 % des cas, et seulement par une sage-femme dans 18 % des cas. Quant à la participation du médecin généraliste, elle reste très faible (0,6 % seul et 2,3 % en association avec d’autres professionnels).
L’analyse selon les effectifs de femmes révèle que c’est la filière « secteur privé » exclusive qui a été la plus utilisée par les femmes, soit 43 %, avec une proportion plus importante parmi les femmes ayant eu moins de cinq visites prénatales. Par ailleurs, plus le nombre de visites prénatales augmente et moins les structures de santé de base sont utilisées à titre
exclusif par les femmes. Ainsi, la participation des centres de santé de base passe de 45 % pour les femmes ayant effectué une seule visite prénatale à 7,5 % pour celles ayant effectué sept visites et plus.
Moment du dépistage (Tableau 4)
Lorsqu’on analyse le moment du dépistage de ces facteurs de risque, moment qui a pu être précisé pour les 1823 facteurs présents chez les 1194 femmes, on remarque que certains facteurs ont été insuffisamment dépistés (moins de trois fois sur quatre) durant la grossesse. On peut classer ces facteurs en deux groupes :
facteurs dont le dépistage repose sur des données d’interrogatoire (âge supérieur à 35 ans, parité > 4, antécédent de faible poids de naissance, antécédent de décès périnatal ou néonatal) ;
facteurs dont le dépistage repose sur des données d’examen et ou de bilan biologique (hauteur utérine excessive et anémie).
Hospitalisation et lieu d’accouchement
Parmi les femmes ayant présenté une grossesse à risque, 13,3 % ont été hospitalisées pendant leur grossesse.
L’analyse selon le motif d’hospitalisation montre que ces hospitalisations ont surtout concerné 38 cas de diabète, 33 cas d’HTA, 25 cas d’hémorragie du 3e trimestre, 14 cas de grossesse gémellaire ou multiple, huit cas d’anémie et deux cas de faible poids de naissance. Les femmes qui ont le risque le plus élevé d’être hospitalisées sont celles qui ont présenté une hémorragie du troisième trimestre, qu’elle soit associée ou non à un autre motif.
L’analyse de la distribution des facteurs de risque selon la maternité d’accouchement montre des pourcentages plus élevés de femmes qui accouchent à la maternité universitaire (par rapport aux
maternités périphériques) concernant les facteurs de risque suivants : HTA, diabète, utérus uni-cicatriciel et grossesse gémellaire ou multiple. Par ailleurs, aucune femme présentant au moins un des facteurs de risque suivants n’a accouché dans une maternité périphérique : utérus bi-cicatriciel et rupture prématurée des membranes. Enfin, deux femmes diabétiques ont accouché dans une maternité périphérique.
Discussion
En vue d’analyser le profil des grossesses à risque, ce travail a concerné l’ensemble des femmes venues accoucher dans l’une des quatre maternités publiques de la région sanitaire de Sousse durant une période de six mois.
Nous avons ainsi observé 4660 accouchements et en avons considéré 1194, soit 25,6 %, comme étant associés à des femmes présentant au moins un facteur de risque. En fait, si ce taux de grossesses à risque est relativement bas par rapport à d’autres études, par exemple celles de Jahn et al. qui retrouvent au Népal une proportion de 41,5 % par rapport à l’ensemble des consultantes [5] et d’Al Teheawy qui retrouve un taux de 46,2 % en Arabie saoudite en 1992 parmi les femmes venant faire leur suivi prénatal dans les centres de soins de première ligne [6], il est cependant plus élevé que celui retrouvé au Cameroun, soit 21 % entre 1982 et 1985 [7], et celui observé en Belgique qui est de 21,8 % en 2005 [8]. Par contre, nos chiffres sont comparables à ceux d’Alexandrie (Égypte) en 1990 (27,7 %) [9], la notion de risque étant définie selon les standards nationaux comme cela se rapporte à notre cas.
En fait, selon l’UNICEF/l’OMS/le FNUAP, l’un des moyens les plus efficaces de réduire la mortalité maternelle est d’améliorer l’accessibilité, l’utilisation et la qualité des services capables de traiter les complications de la grossesse et de l’accouchement. Au moins 15 % des femmes enceintes présentent de graves complications et ont besoin d’être traitées d’urgence
dans des services obstétricaux de qualité [10]. Les différences peuvent être néanmoins expliquées par les particularités de chaque région. Ainsi, près de 80 % des femmes ont été recrutées dans la maternité universitaire de la région de Sousse, maternité qui représente un centre de référence pour l’ensemble des autres structures de santé de la région de Sousse ainsi que d’autres régions avoisinantes. Le reste des femmes, soit 20 %, a accouché dans l’une des trois maternités périphériques de la région de Sousse (maternité de Kalaa-Kebira, maternité de Msaken et maternité d’Enfidha) distantes de 10 km, 15 km et 40 km, respectivement. Ces maternités périphériques sont dirigées par des sages-femmes encadrées par des médecins gynécologues-obstétriciens, ce qui peut expliquer le pourcentage de femmes ayant accouché dans des maternités considérées comme peu équipées en moyens, comparativement à une maternité universitaire.
On peut donc considérer, vu la proximité de la maternité universitaire par rapport à ces régions, qu’un certain nombre de femmes vont utiliser directement les services de la maternité de recours (maternité universitaire) sans nécessairement passer par l’une des maternités périphériques. Il s’agit là d’un aspect important concernant la capacité du système d’orientation-recours à fonctionner correctement, indépendamment des autres facteurs qui pourraient aussi expliquer ce « court-circuitage » (lieu de la consultation, habitude de la femme et des professionnels consultés en particulier). Ceci indique qu’il y a plusieurs raisons de non-utilisation des services de maternité au-delà de l’accessibilité géographique. Celles-ci peuvent comprendre les barrières culturelles, une mauvaise qualité perçue des soins, la discrimination perçue des personnes rurales et le manque de gain de santé perçu [11,12]. Si on compare cet aspect à celui observé dans une région d’Arabie saoudite (Al Baha), on constate que près de 91,3 % des femmes enceintes choisissent les structures sanitaires de première ligne pour effectuer leur suivi prénatal, les facteurs influençant ce choix étant l’accessibilité géographique, la facilité d’accès aux soins dans ces centres et la présence de sages-femmes et de médecins de sexe féminin. Cependant, près de la moitié de ces femmes (47,2 %) ne désirent pas accoucher dans ces centres du fait de l’insuffisance d’équipements et de la non-disponibilité de spécialistes en gynéco-obstétrique [13].
L’âge avancé aggrave le pronostic de la grossesse et de l’accouchement et est associé à une fréquence élevée de prématurité, d’HTA, d’accouchement par césarienne et de morbidité et mortalité périnatales [14-17]. La proportion de femmes analphabètes (tranche d’âge 15-
49 ans) est de 13 % contre 43 % au niveau national en 2002 [18]. Il a été rapporté dans la littérature que le bas niveau éducationnel et socio-économique est associé à une fréquence plus élevée de grossesses à risque [19]. Enfin, près de 40 % des conjoints sont des journaliers ou ouvriers, taux identique à celui retrouvé dans d’autres régions de la Tunisie [20].
Quant aux antécédents gynéco-obstétricaux, si pour un peu moins de la moitié des femmes ayant présenté une grossesse à risque, la grossesse actuelle correspond ainsi à leur deuxième ou troisième grossesse, le nombre moyen de grossesses pour l’ensemble de la population est de 3,2 ‒ chiffre plus élevé que celui retrouvé dans une étude portant sur les grossesses à risque dans une région proche (2,7 à Monastir) [20]. Cependant, la parité moyenne et le nombre moyen d’enfants vivants sont de 1,9 et 1,8 respectivement, chiffres différents de ceux retrouvés par Hergli à Monastir (2,4 et 1,3 respectivement) [20] et dans une population générale de consultantes au niveau national (3,2 pour la parité moyenne) [2]. Par ailleurs, nous avons identifié 18 % de femmes primipares et 10 % de grandes multipares ayant une grossesse à risque. Ces taux sont beaucoup plus faibles que ceux observés en Arabie saoudite [6] et à Alexandrie [9]. Ceci s’expliquerait par la politique nationale de planification des naissances.
Bien que 35,6 % des femmes à risque n’aient initié aucune méthode contraceptive avant la grossesse actuelle, le recours à la contraception reste cependant beaucoup plus élevé que dans certains pays comme le Cameroun où seulement 5 % des femmes y ont recours après l’accouchement [7].
En terme d’avortements, le pourcentage d’avortement(s) spontané(s) et provoqué(s) a été de 8,9 % et 17 % respectivement, le premier étant plus faible que celui retrouvé dans un échantillon national de consultantes en prénatal (21,8 %) [2], et Al Teheawy a trouvé un taux global de 12 % (on ne sait pas s’il concerne seulement les avortements spontanés ou si les avortements provoqués sont comptabilisés) [6]. L’antécédent de mort-né ou de décès néonatal n’est retrouvé que dans 7 % des cas, ce qui est comparable à celui observé à Alexandrie (6,1 %) [9]. L’antécédent d’une césarienne ou plus est retrouvé chez 25 % de nos patientes : cette proportion est cinq fois plus élevée que celle observée dans la région d’Al Hassa en Arabie saoudite (5,8 %) [6]. Dans cette dernière, le rhésus négatif n’est présent que dans 4,8 % des cas alors qu’il est, par ordre de fréquence, le deuxième facteur de risque majeur identifié dans notre étude (20,2 %).
Nous avons enregistré 1823 facteurs de risque chez les 1194 présentant une grossesse à risque, soit une moyenne de 1,52 facteur de risque par femme, ce qui représente à peu près la moitié de la moyenne observée à Alexandrie en 1990 (3,03) [9]. Dans cette dernière, les principaux facteurs de risque identifiés sont par ordre décroissant : l’anémie (37,3 %), la parité ≥ 5 (16,6 %), l’âge supérieur à 35 ans (15,6 %), l’antécédent de chirurgie gynécologique (8,8 %) ou bien d’un mort-né ou de décès néonatal (6,1 %), alors que dans notre étude le facteur de risque majeur est l’âge avancé (32 %). Selon certains auteurs, le diabète gestationnel complique 3 % à 5 % de l’ensemble des grossesses [21], alors qu’en Arabie saoudite la proportion est de 17,1 %, celle de l’HTA est de 10,4 % [6], et en Indonésie de 13 % [22]. Par ailleurs, dans une étude effectuée chez 330 femmes enceintes au Niger en 2000, 55 % ont un seul facteur de risque et 31 % deux ou plus, ce qui est comparable à nos résultats [23]. En effet, il est rare que la femme présente un seul facteur de risque ; généralement, plusieurs facteurs coexistent et leur combinaison aggrave le pronostic, d’où l’intérêt du suivi prénatal et surtout de la première consultation prénatale [19].
En ce qui concerne la surveillance prénatale, les grossesses non suivies forment moins de 1 % contre 15 % sur un échantillon national de grossesses tout venant [2] et 5,2 % sur un échantillon de femmes à risque à Monastir [20]. Près de 67 % des femmes ayant présenté une grossesse à risque ont consulté plus de quatre fois (contre seulement 60 % dans une étude à Monastir [20]) et un peu moins du tiers a consulté deux à trois fois. Ces chiffres se situent dans l’intervalle de ceux relevés dans diverses enquêtes qui montrent qu’au niveau national, la couverture par quatre visites et plus varie de 43,8 % [2] à 71 % [18]. Comme il s’agit de grossesses à risque, à l’évidence, en termes quantitatifs le nombre de visites reste en moyenne faible. Aussi bien l’OMS [24] que le programme national tunisien [25] recommandent un minimum de quatre consultations prénatales.
Certains auteurs rapportent que les femmes ayant une grossesse à risque sont généralement bien suivies, avec un nombre de visites prénatales plus élevé que le reste de la population [26,27]. En fait, le nombre de visites prénatales des femmes ayant une grossesse à risque dépasse cinq au Zimbabwe [28]. Cependant, dans d’autres études concernant le pronostic de la grossesse et de l’accouchement chez les femmes ayant comme facteur de risque l’âge avancé, le nombre moyen de visites prénatales chez celles-ci est de 5,1 alors qu’il est de 7,5 chez les femmes jeunes [29].
Selon une étude effectuée en 2002, les principaux obstacles de recours aux services de santé sont liés à l’accessibilité financière et géographique [18]. Ceci peut, en partie, paraître en contradiction avec le fait que la part du secteur privé est de plus en plus relevée dans les études tunisiennes. Ainsi, pour la surveillance des grossesses tout venant, elle serait passée de 13,6 % à 19,3 % au niveau national entre 1989 et 1997 [2].
Notre étude a montré qu’en termes de gestion du risque, 25 % au moins des causes de non-conformité de la prise en charge du facteur de risque sont associées, en totalité ou en partie, à la femme elle-même, outre le fait que 20 % des femmes à risque ont accouché dans une maternité périphérique (sans pouvoir réellement dire si ce sont elles qui l’ont décidé).
D’après leurs propres informations, 71,3 % des facteurs de risque sont connus de la part des femmes : les femmes savent ou ont été informées lors des consultations prénatales qu’elles ont ou qu’elles ont présenté un (des) facteur(s) de risque. Ces chiffres se rapprochent de ceux de l’enquête nationale CAP qui, dans sa composante « grossesses à risque », rapporte que 25 % des femmes affirment qu’elles n’ont pas été informées de la nature du risque encouru [2]. Ainsi dans certains cas, réellement peu nombreux, la consultation se résume à des procédures simples (examen sommaire) excluant toute possibilité de dépister un facteur de risque important surtout si celui-ci demande le recours à un examen minutieux ou encore à un bilan biologique.
Par ailleurs, beaucoup de facteurs de risque ne sont diagnostiqués qu’en fin de grossesse ou même lorsque la femme entre en travail ‒ il se peut aussi qu’elle n’ait consulté qu’à cette occasion. Un autre facteur peut jouer à ce niveau : il s’agit de la non-utilisation du partogramme pour les femmes qui ont été orientées pour accouchement à partir des trois maternités périphériques. Ainsi, une étude précédente a montré que cela concernait 35 % des femmes orientées vers la maternité universitaire [20].
Il s’agit là d’une insuffisance du système à laquelle il faut probablement ajouter la difficulté de la maternité universitaire à n’accepter que les grossesses à risque. En effet, il s’agit de la seule maternité publique pour toute une région et celle-ci fonctionne donc aussi bien comme maternité de recours pour les maternités des régions avoisinantes que comme lieu d’accouchement pour les femmes originaires de la région de Sousse. Cette situation est aussi aggravée par le fait que, vu la proximité, beaucoup de femmes issues de régions avoisinantes vont directement utiliser la maternité de recours sans passer par les maternités et structures périphériques, ce qui est particulièrement le cas des femmes qui consultent en prénatal dans les structures privées. Ainsi, selon Jahn et al., 86 % des femmes s’orientent d’elles-mêmes avec le seul argument de la sécurité supplémentaire, qui n’existerait pas dans les maternités périphériques [5].
Conclusion
Notre population de femmes ayant une grossesse à risque se caractérise par un profil particulier, avec un âge au premier mariage beaucoup plus bas que le reste de la population générale, un niveau socio-économique relativement faible, un grand pourcentage de femmes analphabètes sans activité économique et dont le tiers n’a initié aucune méthode contraceptive avant la grossesse actuelle.
La surveillance prénatale de ces femmes se situe en deçà des objectifs du programme, avec une moyenne de quatre consultations par grossesse, et une grande part a consulté au niveau du secteur privé.
Enfin, si notre étude s’est donnée comme principal objectif d’étudier le profil épidémiologique des grossesses à risque, c’est évidemment parce que ces grossesses, comme leur nom l’indique, majorent le risque de mortalité maternelle et périnatale. Or, pour les décideurs de santé et en terme de priorités, il ne faut pas oublier que la mesure la plus efficiente pour réduire ce risque n’est pas autant la promotion des soins prénatals dont on connaît les limites, mais beaucoup plus celle des soins obstétricaux, c'est-à-dire au moment de l’accouchement et ce, aux différents niveaux de prise en charge. À ce niveau, il apparaît important d’insister sur la nécessité de mieux équiper les maternités périphériques ainsi que les maternités de recours qui drainent la proportion la plus élevée de femmes à risque. Il faudra cependant veiller à améliorer les conditions de transport des femmes aussi bien en prénatal qu’au moment de l’accouchement.
Conflit d’intérêt : aucun.
Références
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