Médicaments et allaitement maternel : évaluation du risque médicamenteux chez le nourrisson

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Revue

Y. Khabbal,1 S. Zaoui 2 et Y. Cherrah 3

الأدوية والإرضاع الطبيعي من الثدي: تقييم خطر الأدوية على الرضَّع

يوسف خبال، سناء الزاوي، يحي الشراح

الخلاصـة: يُعَدُّ اللبن الحليب من العناصر الهامة في تنمية الأطفال، إضافة إلى منافعه التي لا تُنْكَر في التغذية وفي المناعة. وقد تمنع التحذيرات، التي قد يكون مبالغاً فيها، الأمهات والأطفال من التمتُّع بمنافع كل من الإرضاع الطبيعي من الثدي ومن تناول الأدوية. ويعود تبرير تلك الأساليب إلى الغياب التام للدراسات حول إفراغ الأدوية في حليب الثدي من خلال دراسات سريرية. وقد قيَّم الباحثون الأخطار الحقيقية من خلال تصنيفات عديدة، ومن خلال تقدير عبور الأدوية في الحليب، ومن خلال تقدير مدى تعرُّض الرضَّع للأدوية، وكلها ممكنة، ويمكنها توفير مؤشر يعتمد عليه للحصول على أحكام أصْوَب حول الأخطار التي تهدد الرضَّع. وعلى وجه الإجمال فإننا بمواجهة حالتين مختلفتين؛ إما معالجة جديدة خلال فترة الإرضاع، أو مُوَاصَلَة معالجة وُصفت من قبل أثناء الحمل. وإذا كان ثمّة حاجة لوصف المعالجات لمدة طويلة أثناء الإرضاع الطبيعي من الثدي، فإن من المطلوب وضع أسلوب استراتيجي لذلك.

RÉSUMÉ Le lait maternel, en plus de ses propriétés nutritives et immunologiques indéniables, est un élément important pour le développement du nourrisson. Des mises en garde parfois exagérées empêchent la mère et l’enfant de profiter à la fois des bienfaits de l’allaitement et d’une médication appropriée. Cette attitude est justifiée par l’absence totale d’investigations sur l’excrétion des médicaments dans le lait maternel lors des essais cliniques. Le risque réel a été évalué par plusieurs classifications. Une estimation du passage des médicaments dans le lait et une estimation de l’exposition du nourrisson au médicament sont possibles, constituant ainsi un indice très fiable pour mieux juger le risque encouru par le nourrisson. Généralement, nous sommes confrontés à deux situations différentes : une nouvelle prescription durant l’allaitement ou le maintien d’un traitement déjà prescrit lors de la grossesse. Si le traitement sera prescrit pour une longue période pendant l’allaitement, la nécessité d’une démarche stratégique s’impose.

Medicines and breastfeeding: assessing the risk of medicines to infants

ABSTRACT Milk, in addition to its undeniable nutritional and immunological benefits, is an important element for the development of the infant. Warnings, sometimes exaggerated, may prevent the mother and child from enjoying the benefits of both breastfeeding and appropriate medication. This approach is justified by the total absence of investigations on the excretion of drugs in breast milk during clinical trials. The actual risk was evaluated by several classifications; an estimate of the passage of drugs into milk and estimation of infant exposure to the drug are possible and can provide a reliable indicator to better judge the risk to the infant. Generally we are faced with two different situations: a new treatment during lactation or maintenance treatment already prescribed during pregnancy. If treatment needs to be prescribed for a long period of breastfeeding, a strategic approach is required.

1Laboratoire de Pharmacologie et de Toxicologie, Faculté de Médecine et de Pharmacie, Université Sidi Mohammed Ben Abdellah, Fès (Maroc) (Correspondance à adresser à Y. Khabbal : This email address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it. ou This email address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it.).
2Laboratoire de Pharmacologie et de Toxicologie, Laboratoire de Recherche PCIM (Pneumo-cardio-immunopathologie et Métabolisme), Faculté de Médecine et de Pharmacie, Université Cadi Ayyad, Marrakech (Maroc).
3Laboratoire de Pharmacologie et de Toxicologie, Faculté de Médecine et de Pharmacie, Université Mohammed V, Rabat (Maroc).
Reçu : 21/02/12; accepté : 23/02/12
EMHJ, 2013,19(2):186-191


Introduction

Soucieux d’éviter les effets indésirables chez le nourrisson, le prescripteur est contraint dans plusieurs situations à ne pas utiliser chez la femme allaitante certaines molécules ou à indiquer le sevrage précoce du nourrisson, empêchant ainsi la mère et l’enfant de profiter à la fois des bienfaits de l’allaitement et de la médication appropriée.

Cette attitude est justifiée par l’absence totale d’investigations sur l’excrétion des médicaments dans le lait maternel lors des essais cliniques.

Dans ce travail, nous exposons la démarche classique pour évaluer - s’il existe bien sûr - le risque lié à une exposition médicamenteuse du nourrisson pendant l’allaitement maternel.

Classification du risque médicamenteux

Le lait maternel, en plus de ses propriétés nutritives et immunologiques indéniables, est un élément important pour le développement du nourrisson [1]. Des mises en garde parfois exagérées empêchent la mère et l’enfant de profiter à la fois des bienfaits de l’allaitement et d’une médication appropriée. Mis à part l’hypersensibilité qui survient à des concentrations sub-thérapeutiques, les effets pharmacologiques à surveiller pendant l’allaitement (léthargie, somnolence, insomnie, hyperactivité) sont liés à l’atteinte de la concentration minimale efficace. Certains symptômes, comme la diminution des réflexes de succion, la perte de poids du nouveau-né, permettront aussi, mais indirectement, de mettre en évidence un effet pharmacologique [2].

Plusieurs classifications sont proposées pour évaluer le risque lié à l’exposition au médicament pendant l’allaitement. Citons à titre d’exemple la classification de Briggs, une classification pratique et rapide : cet auteur classe le risque lié à l’exposition au médicament pendant l’allaitement de A à X et décrit la pharmacocinétique de la molécule dans le compartiment lacté [3]. Cette même graduation est adoptée par Delaloye.

Le manuel de référence reste celui de Thomas Hale qui propose une classification claire et pratique [4]. Le risque lié à l’exposition au médicament pendant l’allaitement est classé de L1 à L5 :

  • L1 : (médicament) le plus sûr, car la molécule a été largement utilisée par de nombreuses femmes allaitantes sans que l’on ait observé une augmentation d’effets indésirables chez le nourrisson. Les études contrôlées chez les femmes allaitantes ne démontrent ni risque ni possibilité d’effets néfastes pour le nourrisson, ou la biodisponibilité de la molécule prise par voie orale est négligeable.
  • L2 : sûr, car les données sont limitées chez la femme allaitante. Cependant, il n’a pas été mis en évidence d’augmentation des effets indésirables chez le nourrisson, et/ou la preuve d'un risque avéré, suite à l'utilisation de ce médicament chez une femme qui allaite, est faible.
  • L3 : moyennement sûr. Il n'y a pas d'études contrôlées chez les femmes qui allaitent mais le risque d'effets indésirables chez le nourrisson est possible, ou des études contrôlées montrent un risque faible d’effets indésirables non menaçants. La molécule ne doit être administrée à la femme allaitante que si le bénéfice justifie le risque potentiel chez l’enfant.
  • L4 : potentiellement dangereux. Il y a des preuves positives de risque pour le nourrisson allaité, mais les avantages de l'utilisation chez les mères qui allaitent peuvent être acceptables malgré le risque pour l'enfant (par exemple, si le médicament est nécessaire dans une situation potentiellement mortelle ou dans le cas d’une maladie grave pour laquelle des médicaments plus sûrs ne peuvent pas être utilisés ou sont inefficaces).
  • L5 : contre-indiqué car des études basées sur l'expérience humaine ont démontré chez les mères qui allaitent qu'il existe un risque documenté important pour le nourrisson, ou il s'agit d'un médicament qui présente un risque élevé de dommages importants chez le nourrisson. Le risque de l'utilisation du médicament chez les femmes qui allaitent l’emporte sur tout avantage possible de l'allaitement maternel. Le médicament est contre-indiqué chez les femmes qui allaitent un nourrisson.

Facteurs modulant le passage des médicaments dans le compartiment lacté

Le lait et le plasma sont deux compartiments biologiques indépendants mais il y a assez souvent une corrélation parfaite entre la concentration des médicaments dans les deux compartiments [4] : si le taux plasmatique augmente, le taux lacté augmente aussi, et si au contraire le taux plasmatique baisse, le médicament repasse dans le compartiment plasmatique et le taux lacté baisse logiquement. Plusieurs facteurs influent sur la concentration des médicaments dans le lait maternel.

La composition du lait 

La composition du lait joue un rôle prépondérant pour expliquer la valeur des ratios lait/plasma des concentrations de médicament.

La composition du lait maternel en ions hydrogènes, en lipides et en protéines varie principalement en fonction du stade de maturation du lait [5]. En tout début de lactation, l’épithélium alvéolaire est beaucoup plus perméable car les connections intercellulaires ne sont pas jointives ; la concentration lactée des médicaments peut donc être plus élevée, mais étant donné le faible volume de colostrum secrété et consommé, la dose totale reçue par l’enfant reste probablement faible. La composition du lait évolue au cours du temps. Le contenu moyen en lipides du lait augmente durant la maturation du lait, passant de 3 % dans le colostrum à 5,4 % dans le lait mature. Cette concentration en graisses varie parallèlement à la vidange du sein et est à l’origine de variations importantes liées en grande partie aux capacités de stockage mammaire. Ces variations touchent essentiellement les substances liposolubles [5].

La concentration moyenne en protéines est à son plus haut niveau dans le colostrum (18-23 g/L). Elle ne varie pas de manière significative du début à la fin de la tétée. Les protéines du petit lait comptent pour 70 % à 80 % des protéines du lait et incluent l’albumine (0,4 g/L), l’alpha-lactalbumine (2,7-3,3 g/L), la lactoferrine (1,4 à 1,9 g/L), les immunoglobulines A - IgA (1-3 g/L) et les lysoenzymes (0,4 g/L). Par ailleurs, la caséine, un mélange hétérogène de protéines, compte pour le reste. L’α1-glycoprotéine acide n’est pas présente en quantité significative.

La concentration en protéines totales du lait est plus basse que celle du plasma ; ainsi la liaison protéique aux protéines du lait est plus faible que la liaison au plasma et se fait principalement à l’albumine ; la contribution de la lactoferrine et de la caséine est faible [2].

Le degré d’ionisation du médicament 

La différence de pH entre le plasma et le lait maternel a un effet sur la distribution puisque seule la molécule non ionisée peut traverser une membrane biologique.

Le pH du lait est acide (6,6 à 7,3) comparativement à celui du plasma (7,4). Le lait maternel favorise donc l’accumulation des bases faibles alors que la concentration d’acides faibles est généralement plus basse dans le lait que dans le plasma. Les substances fortement acides de pKa égal à 2,7 sont plus ionisées dans le plasma et pénètrent donc très peu dans le lait, alors que les bases fortes s’accumulent dans le lait maternel. En pratique, comme déjà mentionné, le pH du lait est légèrement plus acide que celui du plasma. Les médicaments qui sont des bases faibles (barbituriques, β-bloquants) peuvent se trouver piégés dans le compartiment lacté [5] (Tableau 1).

La liposolubilité

Les médicaments les plus liposolubles diffusent plus facilement dans les lipides. Donc les variations de la concentration des lipides du lait influent sur les quantités de médicaments dans le lait maternel ; l’augmentation de la concentration de lipides dans le lait maternel déplacera le ratio à des valeurs supérieures ; ce type de substances est représenté surtout par les médicaments actifs au niveau du système nerveux central qui ont généralement une structure physico-chimique qui les rend très liposolubles [4].

La liaison aux protéines plasmatiques

La liaison des médicaments aux protéines du plasma et du lait influe sur la distribution dans le lait et sur la vitesse avec laquelle ces médicaments passeront au travers de l’épithélium alvéolaire. Seuls les médicaments non liés diffusent à travers les membranes. Les médicaments fortement liés aux protéines plasmatiques (> 90 %) ont un faible passage lacté (anti-inflammatoires non stéroïdiens, paroxétine, propranolol, warfarine). Cette fixation aux protéines plasmatiques dépend beaucoup des caractéristiques acido-basiques du médicament (Tableau 2).

Le poids de la molécule

Quand le poids moléculaire (PM) est très faible (< 200 daltons) comme l’éthanol, il y a un passage par diffusion directe par l’espace intercellulaire ; par contre, les substances dont le PM est supérieur à 800-1000 daltons passent plus difficilement dans le lait ; pour les substances dont le PM est très élevé (25 000 à 200 000), le passage lacté est pratiquement nul [5].

La demi-vie

Le risque de passage d’une molécule dans le lait maternel est proportionnel à la demi-vie. Les substances ayant une demi-vie courte de l’ordre de 1-3 heures ont une élimination rapide. Si le médicament est pris juste après la tétée, le taux plasmatique au moment de la tétée suivante aura probablement beaucoup diminué (conseil que nous donnons fréquemment pour les femmes allaitantes ayant un traitement chronique). Nous sommes souvent contraints à évaluer la quantité qui reste dans l’organisme, surtout dans les cas où la femme allaitante a pris un traitement pour une durée déterminée.

Généralement, on considère qu’au bout de 4 demi-vies, environ 10 % de la substance reste dans l’organisme et qu’il faut pratiquement 7 demi-vies pour qu’elle soit complètement éliminée (Tableau 3).

Estimation du passage des médicaments dans le lait

L’évaluation directe in vivo du transfert des médicaments du plasma vers le lait après atteinte de l’équilibre est le moyen le plus classique d’établir les ratios des concentrations de médicament retrouvées dans le lait par rapport à celles retrouvées dans le plasma.

Les dosages doivent être faits dans le plasma et le lait en même temps et idéalement après l’obtention de l’équilibre. Les ratios sont obtenus en faisant le rapport des concentrations analysées, soit en prélevant un échantillon de lait au moment où la concentration plasmatique est maximale, c’est- à-dire au T max, soit en comparant les aires sous la courbe des concentrations dans le lait et dans le plasma en fonction du temps. Ces façons de faire comportent chacune des avantages et des inconvénients. Elles donnent cependant une approximation fort acceptable pour la comparaison des médicaments entre eux ; la méthode mathématique de simulation par ordinateur et la méthode in vitro permettent également d’évaluer les ratios lait/plasma (L/P) [2].

Le ratio L/P est utilisé comme un indice de l’importance du transfert d’un médicament dans le lait maternel. Le ratio L/P le plus soigneusement mesuré n’a pas de signification clinique en lui-même mais peut être utilisé, en l’absence de mesure de la concentration d’un médicament dans le lait, pour calculer la concentration qui correspond à la concentration plasmatique de médicament chez la mère.

Un médicament qui est quatre fois plus concentré qu’un autre dans le lait n’est pas nécessairement quatre fois plus actif chez le nouveau-né. Tout dépend du devenir du médicament chez l’enfant. Lorsque la dose ingérée par l’enfant est évaluée, cette dose peut être comparée avec celle que l’on donne habituellement à l’enfant en mg par kg dose pédiatrique ou au pourcentage de la dose maternelle afin de déterminer si la dose reçue par le nouveau-né via le lait peut produire un effet pharmacologique.

Généralement, on considère qu’une dose < 10 % de celle prise par la mère ne comporte pas de risque pour le nourrisson lorsqu’on ne connaît pas la cinétique du médicament chez le nouveau-né ; lorsque les ratios rapportés sont différents d’un auteur à l’autre, le risque peut être évalué en se basant sur la cinétique maternelle pour étudier le cas.

Estimation de l’exposition du nourrisson au médicament

La quantité de médicament ingérée par le nourrisson peut être calculée si on connaît la concentration du médicament dans le plasma maternel (Cmat), le volume de lait ingéré (VLI) par unité de poids et par jour en mL/kg/jour et le rapport des concentrations entre le lait et le plasma de la mère (ratio L/P). La concentration du médicament dans le plasma maternel qui est indiquée dans les études pharmaco­cinétiques peut être utilisée en pratique et multipliée par le ratio L/P pour donner la concentration par millilitre de lait.

On calcule ensuite directement la dose ingérée par l’enfant en multipliant la concentration dans le lait par le volume de lait ingéré par kg : Cmat x ratio L/P x VLI = dose kg/jour.

Ce mode de calcul de l’exposition a été proposé par Wilson et al. [6]. Il donne la quantité de médicament ingérée par le nourrisson sur une période de 24 heures. Il est certes utile mais les paramètres pharmacocinétiques doivent absolument être évalués en tenant compte de l’immaturité du nourrisson [7].

Appréhension pratique

La concentration maximale dans le lait correspond aux pics de concentration dans le plasma maternel. Il est donc préférable de ne pas allaiter lorsque la concentration du médicament dans le plasma maternel est à son maximum. De plus, la quantité de médicament liposoluble transmise à l’enfant varie en fonction de la durée de l’allaitement.

Pendant les dix à quinze premières minutes de tétée, le lait contient moins de lipides de sorte que dans les séances plus longues, l’enfant reçoit moins de substance liposoluble au début qu’en fin de tétée. Enfin, la quantité de lait absorbée par le nourrisson influe sur la quantité de substance ingérée. Même si la concentration du médicament par mL de lait est faible, la dose accumulée dans 600 à 1000 mL de lait par 24 heures peut entraîner un effet pharmacologique chez un enfant de 3 à 4 kg si ce médicament a une longue demi-vie chez le nouveau-né.

Un nouveau-né âgé d’une semaine consomme au plus 40 mL aux 4 heures, alors qu’à six semaines il consomme 150 mL aux 6 heures et qu’à 16 semaines il ingère de 150 mL à 225 mL ; 4 à 6 fois par jour, la quantité de substance ingérée par séance d’allaitement, négligeable au début, pourra avoir un effet sur l’enfant plus tard au cours de l’allaitement [8].

Souvent, dans la pratique quotidienne, lorsqu’une conduite à tenir explicite figure dans la monographie d’un produit « allaitement possible » ou « allaitement contre-indiqué », elle doit être suivie dans la majorité des cas ; mais lorsque la conduite à tenir dans la monographie est moins claire « allaitement déconseillé » ou « simples données cinétiques » ou « rubrique non renseignée », la décision d’allaiter ou de poursuivre un allaitement maternel sous traitement doit être le plus souvent prise au cas par cas, en accord avec la mère, après l’avoir informée des risques éventuels. Il faut alors tenir compte de l’activité pharmacologique du médicament et de son profil cinétique, du profil des effets indésirables du médicament, de l’âge du nourrisson, du niveau d’allaitement, de la possibilité de la surveillance et de suivi du nourrisson et de la compréhension de la mère.

Généralement, nous sommes confrontés à deux situations différentes : une nouvelle prescription durant l’allaitement ou le maintien d’un traitement déjà prescrit lors de la grossesse. En fait, si la mère souffre d’une affection chronique pour laquelle le traitement est pris au long cours, et généralement antérieure à la grossesse, dans cette situation le risque paraît moindre pendant la période de l’allaitement relativement à la période de la grossesse car les concentrations qui atteignent le fœtus sont supérieures à celles qui atteignent le nourrisson par le biais du transfert lacté. Par contre, quand des effets indésirables surviennent chez un enfant allaité en post- partum, ils sont plus probablement la conséquence de l’exposition au médicament in utero. Les médicaments les plus concernés sont généralement les psychotropes : dans une telle situation, une surveillance sera programmée avant la naissance.

Dans l’autre cas, le médecin est contraint à prescrire un traitement pendant l’allaitement. Si le traitement est destiné à traiter une pathologie aiguë, une suspension temporaire pourra être envisagée avec deux simples précautions : maintenir la lactation en tirant et en jetant le lait et reprendre le traitement en considérant les 7 demi-vies nécessaires à une élimination totale du traitement. Par ailleurs, si le traitement sera prescrit pendant une longue période au cours de l’allaitement, une démarche stratégique s’impose et consiste pratiquement à :

  • évaluer de façon individuelle le rapport bénéfice/risque en tenant compte des données cliniques comme l’âge de l’enfant, son immaturité hépatique, ses capacités d’épuration, et des données pharmacologiques, surtout la classe pharmacologique du médicament et son potentiel à engendrer des effets indésirables ;
  • connaître les médicaments ayant une affinité lactée et pouvant donner des concentrations élevées dans le lait ;
  • être vigilant avec les médicaments qui peuvent entraîner une sédation ou une dépression respiratoire ou un syndrome de sevrage ;
  • penser aux médicaments qui peuvent entraîner une diminution de la production lactée ;
  • promouvoir les médicaments utilisables chez l’enfant ;
  • promouvoir les médicaments ayant des données sur leur concentration lactée ;
  • prendre le médicament à la fin de la tétée.

Conclusion

Les paramètres pharmacocinétiques varient pour chaque médicament et les études en cas d’allaitement maternel manquent pour un nombre important de spécialités, en particulier quand leur commercialisation est récente. Ainsi, la mention « ne pas utiliser chez la femme allaitante » signifie plutôt l’absence d’investigations pharmacocinétiques sur l’excrétion dans le lait que l’existence d’observations cliniques. Certaines règles simples peuvent aider les professionnels de santé confrontés à la prescription de médicaments chez la femme allaitant son enfant, comme proscrire les médicaments non indispensables, éviter les spécialités contenant une association de principes actifs et se méfier de l’automédication. Il convient de toujours privilégier, dans une classe médicamenteuse donnée, le médicament passant le moins dans le lait, sans métabolite actif, à demi-vie courte ou ne s’accumulant pas dans le compartiment lacté. Enfin, la voie d’administration occasionnant le plus faible passage systémique doit être préférée.

Références

  1. Department of Health and Human Service Office on Women’s Health. Benefits of breastfeeding. Nutrition in Clinical Care, 2003, 6:125–131.
  2. Leblanc PP et al. Traité de biopharmacie et pharmacocinétique. 3e édition [Treatise on biopharmaceutics and pharmacokinetics, 3rd ed.]. Montréal et Paris, Presses de l’Université de Montréal et Éditions Vigot, 1997:307–310.
  3. Briggs GG, Freeman RK, Yaffe SJ. Drugs in pregnancy and lactation. Baltimore, Williams and Wilkins, 1999:1595.
  4. Hale TW. Medications and mothers’ milk. Amarillo, Pharmasoft Publishing, 2002:812.
  5. Gremmo-Féger G, Dobrzynski M, Collet M. Allaitement maternel et médicaments [Breastfeeding and drugs]. Journal de Gynécologie, Obstétrique et Biologie de la Reproduction, 2003, 32(5):466–475.
  6. Wilson J. Drugs in breast milk. New York, ADIS Press, 1981.
  7. Saulnier JL et Comité de Rédaction du Centre National d’Information sur le Médicament Hospitalier (CNIMH). Évaluation thérapeutique - Médicaments et allaitement [Therapeutic evaluation – drugs and breastfeeding]. Dossier du CNIMH, 1996, XVII(5-6).
  8. Spencer JP, Gonzalez LS, Barnhart DJ. Medications in the breastfeeding mother. American Family Physician, 2001, 64:119–126.